La Cour pénale internationale a décidé ce vendredi 1er février la libération sous conditions de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. L’ex-président ivoirien et l’ancien ministre ont été acquittés le 15 janvier de crimes contre l’humanité commis lors des violences postélectorales de 2010-2011. Des conditions très restrictives.

Il aura fallu attendre 22h30 ce vendredi pour que la chambre d’appel rende publique son verdict écrit. Un texte de trente pages qui liste l‘ensemble des restrictions de cette libération. Et qui correspond point pour point à ce qu’avait demandé le bureau du procureur.

La décision de la cour d’appel a été prise à l’unanimité des cinq juges de la chambre, qui ont fixé comme première condition à cette libération qu’un Etat veuille bien accueillir Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. La décision de la chambre est détaillée dans un document de trente pages, qui correspond point par point à ce qu’avait demandé le bureau du procureur.

La chambre d’appel estime d’ailleurs qu’il y a un risque de fuite des acquittés. A ce titre, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devront pointer une fois par semaine auprès des autorités de leur pays de résidence. Ils ne pourront se déplacer qu’au sein de la municipalité des pays hôtes. Si déplacement à l’étranger il devait y avoir, ils doivent donc demander une autorisation préalable à la CPI.

Autre point important, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont interdiction d’interagir avec des témoins du procès. Interdiction aussi de s’exprimer sur cette affaire auprès de la presse.

« Les conditions incluent par exemple le fait de signer une déclaration comme quoi Gbagbo et M. Blé Goudé vont se confirmer dans le futur aux décisions des juges de la CPI ; comme quoi ils vont rendre leur passeport au greffe de la Cour et ne pourront pas quitter la municipalité dans laquelle ils résideront dans l’Etat ou les Etats qui vont les accueillir […] Pour la chambre, il est important que les personnes concernées ne fassent pas des déclarations à propos de l’affaire, à leur encontre et à propos potentiellement des victimes de la procédure judiciaire, etc. C’est pour protéger les informations liées à la procédure. »

La chambre d’appel a donc tranché en faveur d’une liberté très restrictive : les mesures imposées par la chambre d’appel sont une quasi assignation à résidence. Le texte ajoute d’ailleurs qu’en cas de non-respect de ces décisions, la chambre d’appel se donne le droit de réviser ses conditions de libérations, à sa propre initiative ou sur celle d’une des parties prenantes. A noter que la cour pourrait réaménager les conditions de cette remise en liberté tous les six mois.

L’affaire Gbagbo n’est pas encore refermée, la procureure compte bien faire appel de l’acquittement des deux Ivoiriens et cette affaire-là devrait encore durer plusieurs mois.

Réactions des avocats des parties

Maître Claver N’Dry, avocat de Charles Blé Goudé, se félicite de la libération de son client : « Pour nous, noir sur blanc, il est écrit qu’une perosnne acquittée doit être immédiatement libérée. Nous nous réjouisons de la liberté accordée à M. Charles Blé Goudé. Je le dis et le redis, depuis le 15 janvier, son innocence est reconnue par la chambre qui a eu à connaître ce dossier. C’est donc un homme léger dans sa tête parce qu’il avait dit aucune goutte de sang humain ne crie contre lui. Nous nous réjouissons de cette reconnaissance de son innocence. Mais M. Charles Blé Goudé appelle toujours cependant la Côte d’Ivoire à se réconcilier, à se parler pour que tous les Ivoiriens, fils et filles de ce pays puissent se retrouver pour se parler, c’est cela qui est essentiel. »

Bernard Houdin, conseiller diplomatique de Laurent Gbagbo : « A l’heure où l’on se parle [ce vendredi soir, ndlr], il dort quelque part en dehors de la prison. Depuis le 11 avril 2011, le président Laurent Gbagbo jouit de la liberté de dormir là où il veut et pas dans une prison à Korhogo ou dans une cellule. Ca c’est le point le plus important, après son acquittement. C’est un élément qui va tout changer dans la perspective de l’évolution des choses en Côte d’Ivoire. Pour la première fois, dans une grande cour de justice internationale, l’acquittement est obtenu simplement sur l’utilisation des témoins de l’accusation et des actes des procureurs. C’est-à-dire que les témoins de la défense ne sont pas intervenus et je ne vois pas qu’elles sont les arguments qui pourraient naître aujourd’hui pour faire un dossier qui puisse renverser la situation en appel. »

Les conditions posées par la Chambre d’appel de la CPI conviennent à maître Jean-Paul Benoît, avocat de l’État ivoirien dans cette affaire : « Elles me semblent raisonnables dans la mesure où le procès n’est pas terminé et qu’il existe une procédure d’appel et qu’il faut s’assurer de la présence de M. Gbagbo et de M. Blé Goudé car les incriminations qui pèsent, même s’il y a eu un non-lieu en première instance, sont lourdes. Il y a eu après l’élection du président Ouattara un déclenchement de violences importantes, il y a eu 3000 ou 3500 victimes, il ne fait jamais l’oublier. Donc je souhaite pour l’apaisement en Côte d’Ivoire qu’on en termine et que la vie politique ivoirienne se déroule démocratiquement et dans la sérénité. »

La décision de la CPI satisfait aussi Me Paolina Massida, l’avocate des victimes dans ce procès. « On a eu déjà quelques réactions de nos clients, les victimes qui sont à Abidjan, qui considèrent que c’est un certain soulagement parce qu’il y avait certaines craintes que M. Gbagbo et M. Blé Goudé puissent rentrer en Côte d’Ivoire. Pour l’instant, nous sommes satisfaits, considérant qu’il y avait également la possibilité que les deux personnes soient remises en liberté sans condition. Les victimes ont un peu repris confiance en la CPI. D’abord avec la décision de la chambre d’appel, de donner effet suspensif à l’appel de l’accusation et avec la décision de libérer les prévenus mais avec des conditions qui tiennent d’une certaine façon compte des préoccupations des victimes quant à leur sécurité et quant à l’intégrité du processus judiciaire. »

En revanche, Issiaka Diaby, le président du Collectif des victimes en Côte d’Ivoire, regrette cette décision de libération sous conditions. Pour lui, la CPI doit impérativement se ressaisir : « Ce que nous attendons de la Cour pénale internationale, ce sont des actions d’envergure comme tous les auteurs de crimes en Côte d’Ivoire pour sauver et protéger la vie des Ivoiriens. Pour que la Côte d’Ivoire ne soit pas jonchée des vestiges des violences survenues. Ce ne sont pas des bons signes que donnons à la génération future. Le bilan des aînés ne doit pas être exposé aux enfants. La CPI doit renforcer sa présence en Côte d’Ivoire en donnant une suite judiciaire favorable aux attentes des victimes de l’affaire Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Il faut que la CPI se ressaisisse, qu’elle garantisse les attentes des victimes. Les communautés de victimes en Côte d’Ivoire ont soif de justice. La Cour pénale a été un espoir inattendu pour les espoirs. Avec ses agissements, cette institution est en train de démontrer qu’elle risque d’être un géant aux pieds d’argile et un mirage pour les victimes, et ce n’est pas une très bonne chose. »

Source: RFI