Depuis l’incident survenu au dépôt pétrolier de Conakry en décembre 2023, la Guinée est confrontée à une crise énergétique qui entraîne des manifestations récurrentes à Conakry et dans les villes environnantes. Récemment, le ministère de l’Énergie a annoncé la signature d’un contrat d’achat d’électricité de 120 mégawatts avec la Société nationale d’électricité du Sénégal (SENELEC). Cependant, la situation continue de se détériorer.

La distribution d’électricité sera désormais alternée un jour sur deux, entre 18h00 et 00h00 pour les quartiers de Conakry et les villes de Dubréka, Coyah, Forécariah, Kindia, Mamou et Boké (Kamsar), a annoncé la compagnie nationale d’électricité dans un communiqué publié le vendredi 28 juin 2024. Lors d’une réunion la veille avec les miniers, le Premier ministre a également déclaré que le pays ne pouvait plus continuer à produire comme par le passé une quantité suffisante d’électricité au risque d’être « définitivement anéanti ».

Une situation délicate ?

La production d’électricité est considérablement affectée par le niveau d’eau bas dans les barrages. La capacité de production actuelledu couple Souapiti-Kaléta, est de 150 mégawatts par jour, contre 358 mégawatts à la même période l’année dernière. Cela représente une baisse de 41%. Le niveau d’eau prévu du réservoir pour les mois de juin et juillet 2025 est de 185 m. Les Chinois ont émis une mise en garde concernant l’exploitation en dessous de la cote 185 m, appelée « cote morte ». Cela pourrait non seulement vider le réservoir, mais aussi avoir des conséquences néfastes sur le fonctionnement normal du barrage de Souapiti.

Niveau d’eau au barrage de Souapiti en mai 2024

Les centrales de Donka, Grande Chute et Banéa, d’une capacité totale de 46 mégawatts, sont également à l’arrêt en raison de travaux en cours avec des retards injustifiés.

Sur le plan thermique, la majorité des groupes sont en panne, ce qui entraîne une perte de production de 70,5 mégawatts, aggravée par l’utilisation de carburant de mauvaise qualité, qui serait la base de nombreuses pannes.

Afin de combler ce manque, une interconnexion a été établie avec le Sénégal, offrant une capacité de 120 mégawatts. Cette quantité n’est disponible que de 3 heures à 17 heures pour 120 mégawatts et de 17 heures à 3 heures du matin pour 30 mégawatts. Bien qu’insuffisante, cette initiative a permis d’améliorer la situation à partir du mois de mai. Cependant, compte tenu de la détérioration actuelle de la situation, elle devient négligeable.

Changement climatique : un argument avancé par les autorités

Le gouvernement guinéen attribue la situation au changement climatique, qui a entraîné une baisse du niveau d’eau dans les barrages. La Guinée dépend fortement de l’hydroélectricité pour sa production d’électricité. Cependant, le changement climatique a entraîné une diminution des précipitations, ce qui a réduit le débit des rivières et donc la quantité d’eau disponible pour les centrales hydroélectriques, notamment Kaléta, Souapiti et Garafiri.

Parmi les causes de ce changement climatique, Moussa Koulibaly, spécialiste des questions énergétiques, pointe du doigt l’exploitation minière qui provoque, selon lui, la dégradation des terres, la pollution de l’eau et de l’air, la destruction des écosystèmes, etc. Il préconise le reboisement, la réhabilitation des sites miniers, l’utilisation des technologies propres, l’adoption de pratiques d’extraction respectueuses de l’environnement.

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Le changement climatique n’est pas le seul facteur responsable des problèmes liés à l’électricité en Guinée. Les dirigeants n’ont pas toujours été transparents avec les citoyens en ce qui concerne la gestion du secteur. Par exemple, peu de Guinéens savent que les barrages hydroélectriques de Kaléta et Souapiti construits sous la présidence d’Alpha Condé ne sont pas des propriétés exclusives de l’État guinéen. Il s’agit de contrats de types Build Operate and Transfer (B.O.T) puis Engineering, Procurement and Construction (EPC), révèle Moussa Koulibaly.

Les financements de ces deux barrages ont été assurés par des prêts de la China Exim Bank. Dans le cas de Kaléta, par exemple, China Synohydro est responsable de la construction, de l’exploitation et du transfert du barrage à l’État guinéen à la fin de la durée du contrat (30 ans selon nos informations). En d’autres termes, la Guinée achète l’électricité à la partie chinoise.

Selon nos sources, le contrat qui lie China International Water & Electric Corp. (CWE) à Électricité de Guinée (EDG) prévoit la fourniture de 480 mégawatts par jour. Cependant, en cas de déficit, le remboursement se fait sur une période de 16 ans. En septembre 2023, les Chinois ont informé le gouvernement qu’en raison de l’étiage, ils réduiraient leur production de 480 mégawatts à 260, soit un déficit de 120. Pour anticiper cette situation, le nouveau ministre de l’Énergie, Aboubacar Camara, aurait convoqué les responsables des sociétés de gestion de Kaléta et Souapiti et leur aurait ordonné de construire une centrale solaire en amont des deux barrages afin de continuer à fournir la quantité contractuelle à EDG (480 MW). Cependant, il semble que l’État guinéen doive de l’argent à ses partenaires chinois.

D’après nos sources, le montant en question s’élève à plus de 625 millions de dollars, ce qui pourrait expliquer les défis actuels. Les sociétés de gestion sont en effet confrontées à des difficultés à la fois techniques et financières.

Les contrats de ces deux barrages ont été critiqués à l’époque par la société civile guinéenne, qui a dénoncé le manque de transparence dans les négociations et les conditions défavorables au pays. Le Fonds monétaire international (FMI) a également exprimé des préoccupations similaires dans son rapport pays n° 2024/130 publié le 17 mai 2024.

Selon l’institution monétaire internationale, le contrat d’achat (PPA) entre EDG et un fournisseur indépendant (IPP) qui produit de l’électricité à partir de sources thermiques, est plus coûteuses que les sources renouvelables. Elle indique également que les contrats IPP hydroélectriques (SOGES et SOGEKA exploitant les barrages hydroélectriques de Souapiti et Kaléta) ne sont pas compétitifs.

Depuis sa création en 2021, les performances médiocres et la mauvaise gouvernance d’EDG ont fait l’objet de réformes constantes dans le cadre de plusieurs programmes ultérieurs du FMI et de la Banque mondiale. La pandémie de COVID-19 a eu des répercussions négatives sur EDG, entraînant la suspension des augmentations prévues des tarifs de l’électricité par les autorités d’alors. En outre, l’administration publique a accumulé des arriérés envers EDG (163 millions de dollars) pour sa consommation d’électricité pour la période allant de 2020 au 31 août 2023, selon le rapport du FMI.

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L’incident survenu en décembre 2023 au dépôt pétrolier a en outre aggravé les défis financiers auxquels est confrontée la compagnie d’électricité.

Des pistes de solutions

Le FMI propose de rétablir la stabilité financière d’EDG, ce qui lui permettra d’exploiter l’immense potentiel d’énergie renouvelable de la Guinée pour étendre la fourniture d’électricité, y compris au secteur minier, et aux pays voisins, tout en libérant des ressources pour les dépenses prioritaires.

L’institution recommande également un meilleur ciblage des subventions à l’électricité en se référant au plan de relance à moyen terme préparé en 2020 avec le soutien de la Banque mondiale. Ce plan comprend des mesures visant à renforcer la viabilité financière d’EDG, basées sur des réformes telles que la réforme tarifaire. Le plan prévoyait des augmentations tarifaires pour les aligner sur les coûts de fourniture d’ici 2025-2026, avec les caractéristiques suivantes : des augmentations plus élevées pour les ménages que pour les clients commerciaux ; un système de tarification plus progressif, basé sur les niveaux de consommation.

La dernière augmentation tarifaire a été effectuée en septembre 2021. La Banque mondiale estime que le total des droits de douane ne couvre que 40 % de la moitié des coûts de production, avec des tarifs particulièrement bas pour les ménages et des subventions bénéficiant aux ménages les plus riches. Environ 85 % des clients paieraient un tarif forfaitaire, plutôt qu’un tarif reflétant la consommation réelle. Parallèlement, le nombre de clients d’EDG est passé de 398 000 en 2018 à 608 000 en 2022.

En outre, le plan tient compte de l’impact social et du niveau de revenus des consommateurs à travers un tarif social lié au niveau de consommation jusqu’à un certain seuil (90 kWh), au-dessus duquel s’applique le tarif normal.

Le FMI note également que le taux de recouvrement demeure faible (50 % pour le secteur public ; 64 % pour le secteur privé) et recommande au gouvernement de régler ses arriérés envers EDG, qui devrait à son tour régler ses arriérés envers les fournisseurs.

Autres recommandations : la réduction des pertes techniques et non techniques, l’amélioration des taux de collecte, grâce à l’installation de compteurs prépayés et standards, et le renforcement de la capacité de gestion et opérationnelle d’EDG.

« Atteindre la viabilité financière d’EDG, associée à des investissements soutenus dans les infrastructures de transport et de distribution d’électricité, améliorerait considérablement l’exploitation du potentiel hydroélectrique et solaire de la Guinée, faisant de la Guinée un pays d’énergie entièrement verte exportant de l’électricité vers les pays voisins et améliorant l’accès à l’énergie en faveur d’une économie forte », conclut le rapport.

À court terme, Moussa Koulibaly estime pour sa part qu’il est nécessaire de recourir au bateau Karpowership de la Turquie pour pallier le déficit de production estimé à 300 mégawatts. Cependant, il se pose la question de savoir si les finances publiques, déjà fragiles, peuvent supporter ce coût. En réponse à cette préoccupation, l’expert en énergie souligne qu’EDG doit être en mesure de couvrir ses frais de fonctionnement, car elle bénéficie d’importantes subventions (400 millions de dollars en 2023).

Par Facely Konaté

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