En Guinée, les autorités se sont engagées de façon formelle dans cette lutte à travers leur adhésion en 1999 au Groupe intergouvernemental d’action contre le Blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA). En application des recommandations de cette instance sous régionale, la Guinée a adopté en 2006 la loi sur le blanchiment d’argent et la lutte contre le financement du terrorisme. Cette dernière a été promulgue une année après.
C’est ainsi que la cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) a vu le jour suite à la loi L/2007/010/AN du 24 octobre 2007 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux en République de Guinée. Placée sous tutelle du ministère de l’économie et des finances selon l’article 19 de la L 010, le service est doté d’une autonomie financière et de décision autonome.
Le blanchiment d’argent est un phénomène mondial qui n’épargne aucun pays dont la Guinée. Né au lendemain de la crise financière des années 30 , le blanchiment d’argent est considéré comme mère de toutes les formes de criminalité selon Elhadj Mohamed Lamine Fofana, expert en lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (Lbc/Ft).
« Au nom de la redevabilité, il faut lutter contre le phénomène par des actions de vérifications et de sanctions » selon Taran Diallo, Président de l’Association Guinéenne pour la transparence (AGT).
Pour le président de l’AGT, le combat contre la corruption, les détournements de deniers publics, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, nécessite de la société civile et des médias, la surveillance permanente de la gestion des finances publiques, de la classe politique et administrative du pays
Face à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la Guinée est dans une marche très lente et ne figure donc pas sur la liste des meilleurs élèves au regard de ses maigres résultats. Avec une quarantaine de dossiers transmise au Procureur de la République, depuis 2007, la CENTIF Guinée ne fait pas preuve de dynamisme avec un budget d’un peu plus de 2 milliard de franc guinéen. L’organisation se heurte aussi à plusieurs ingérences politiques.
De petits progrès qui appellent à l’action
De 2012 à 2018, la Guinée a fait des progrès selon le Président de la CENTIF Guinée, Koly Mara. Ces avancées ont été saluées au dernier sommet du GIABA à Abuja en avril dernier d’où son retrait de la liste des pays placés sous le régime de suivi renforcé.
On peut dire que le dispositif institutionnel pour lutter contre la délinquance financière en Guinée existe et rien de plus. Il n’y a plus besoin de démontrer l’intérêt de la CENTIF au regard de signes assez visibles sur le blanchiment comme le boom immobilier et l’achat de terrains à coup de milliards par des individus.
Lors de la journée d’information sur la loi sur le blanchiment d’argent et la lutte contre le financement du terrorisme qui s’est tenue le 03 novembre sur initiative de l’Association Guinéenne pour la Transparence (AGT) et financée par l’Union Européenne, Elhadj Kalli Diallo, Président Adjoint de la CENTIF Guinée a indiqué que la machine est en marche malgré les embuches.
« Aujourd’hui, le nouveau code pénal de la République de Guinée comporte toutes les infractions sous adjacentes au blanchiment dont le financement du terrorisme. Avant, on ne pouvait poursuivre personne pour ces délits. Cela dit qu’il y a une évolution. »
Toujours est-il qu’une action de sensibilisation sur la problématique de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme s’avère nécessaire. C’est pourquoi, le président de l’association guinéenne pour la transparence, Elhadj Mamadou Taran Diallo annonce la mise en place d’un réseau de journalistes d’investigation pour mener une action commune.
La CENTIF, une autonomie au pouvoir limité
Depuis sa création en 2007, la CENTIF Guinée a transmis 40 dossiers au procureur de la République selon son Président Koly Mara. A ce jour, aucune poursuite ou encore un verdict n’a sanctionné l’examen de ces dossiers.
La CENTIF est définie par l’article 19 de la L010comme une organisation autonome, pour autant elle n’a pas la liberté d’action souhaité face aux différentes de formes que prend le blanchiment. Tenue par l’obligation de confidentialité (art.22 L010), elle traite les renseignements financiers qui lui sont transmis uniquement par les assujettis (le trésor public, la BCRG, les banques, les organisations financières. Etc…) selon les termes de l’article 5 de la L010.
Mais force est de constater que son action est limitée car elle ne peut s’autosaisir d’un dossier sans dénonciation préalable. Par exemple la presse guinéenne fait état de scandale financier découlant d’un détournement de fonds ou d’une réalisation supérieure au revenu de son auteur mais les six membres de la CENTIF n’ont pas le droit de s’en saisir pour l’instant.
L’action de la CENTIF Guinée est déclenchée sur une déclaration de soupçon transmise le plus souvent par le service de conformité des banques sur toute opération égale ou supérieure à 50.000.000 gnf (article 8 alt.1) et elle s’arrête à la transmission du dossier après enquête.
Vu l’ampleur du blanchiment d’argent en Guinée, malgré l’absence de chiffre, la prochaine évaluation nationale des risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme (bc et FT) doit être l’occasion de revoir les prérogatives de cette cellule en Guinée.
Monique Curtis