15 décembre 2024, décision de la Conférence des chefs d’Etats et de Gouvernement de la CEDEAO d’établir un tribunal spécial pour juger les crimes commis sous le régime de l’ex-président gambien Yayah JAMMET lors de son 66e Sommet réuni à Abuja, Nigéria, siège de l’institution. D’emblée, il faut souligner que l’institution sous-régionale traverse la crise la plus sérieuse de son histoire et une telle décision est de nature à la reconnecter de sa mission fondamentale qui est celui d’assurer ultimement le bien-être du citoyen communautaire dont le respect des droits fondamentaux est cardinal. Une date historique. Ainsi, dans la présente tribune, nous nous intéresserons tour à tour du contexte et de la genèse de ce tribunal spécial, des questions qui restent encore à résoudre pour sa mise en place effective et surtout du rôle que joue son avènement pour combattre l’impunité en Gambie tout en renforçant la justice pénale internationale.
Du contexte et de la genèse d’un tribunal pour combattre l’impunité en Gambie
Entre 1994 et 2017, faut-il le rappeler, plusieurs crimes graves de violations des droits de l’homme ont été commis en Gambie pour le règne de l’ex-président Yayah JAMMET. On évoque des cas d’exécutions, de disparitions forcées, de tortures et autres peines cruelles et des détentions arbitraires. La plupart de ces crimes de masse, selon leur modus operandi, entrent sous le vocable bien défini de crimes contre l’humanité. Quelques procès contre les hauts responsables pour ces faits ont été tenus loin de la Gambie comme ce fut le cas du ministre Ousman SONKO en Suisse ; il a été condamné à 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité, en 2024. C’est également celui de Bai LOWE, un des hommes de l’ombre, condamné à perpétuité en Allemagne, en 2023, pour crimes contre l’humanité. Cependant, on constate jusqu’alors une certaine impunité concernant l’ex-président et d’autres responsables en Gambie et ailleurs. Il faut noter que le gouvernement gambien actuel, la société civile et divers autres parties prenantes extérieures ont travaillé d’arrache-pied pour l’établissement d’un tel tribunal pour combattre l’impunité en Gambie. C’est le cas notamment des recommandations de la Commission Vérité-réconciliation et réparations et diverses campagnes des Ongs gambiennes et étrangères menées en ce sens. Parmi ces acteurs, il faut souligner l’inlassable travail de Red Brody de la Commission internationale des juristes. Le Gouvernement gambien a endossé en 2022 les recommandations de la Commission sus citée tendant à poursuivre et punir les auteurs des violations graves des droits de l’homme. L’approbation de la création de ce tribunal par la CEDEAO est ainsi l’aboutissement d’une longue lutte qui se doit d’être poursuivie jusqu’à sa mise en place effective.
Des questions lancinantes à résoudre : de la coopération de la Guinée équatoriale, du lieu du procès, du financement et d’autres aspects connexes
La première question à résoudre est celle de l’extradition du l’ex-président Yayah JAMMAT en Gambie ou ailleurs par les autorités de la Guinée équatoriale où il a trouvé refuge, aucun accord d’extradition n’existant entre les deux pays. La coopération de ces autorités demeure nécessaire. Avec l’appui de la communauté internationale et la nature des crimes poursuivis, il est possible de penser que cette question trouvera résolution idoine. La seconde est celle du lieu du procès pour certains hauts responsables. Il est indéniable que les divers procès se tiennent en Gambie. Cependant, il ne faut pas exclure une délocalisation du tribunal dans un lieu à l’extérieur du pays pour assurer une certaine sérénité du procès et pour éviter un risque de déstabilisation du pays, encore fragile. Sur ces deux points, bien qu’ayant des similitudes et renfermant quelques différences, les précédents des affaires HABRE avec les Chambres africaines extraordinaires au Sénégal et TAYLOR à la Haye (Pays-Bas), avec le Tribunal spécial de la Sierra Leone, constituent des sources d’inspiration. La troisième concerne le financement du tribunal. La mise en place et l’organisation de tels procès sont couteux et demandent assez de ressources financières. Ici, également, il n’est pas exclu que les institutions internationales telles que la CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne et les Nations Unies ainsi que des pays donateurs tels que les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Suisse, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Nigeria, le Ghana, le Sénégal, la Guinée équatoriale et d’autres puissent mettre la main à la poche pour assister la Gambie pour réunir les fonds nécessaires à la mise en place de ce tribunal spécial d’une grande importance. Les aspects techniques et juridiques comme le statut et le format du tribunal, le droit applicable, la sécurité des témoins sont d’autres points qui seront affinés aisément.
Du renforcement de la justice pénale internationale pour crimes graves de violation des droits de l’homme
L’idée d’un tribunal spécial qu’il soit national ou hybride pour juger les crimes graves commis en Gambie est de nature à renforcer la justice pénale internationale dont l’ultime charpente est la Cour pénale internationale, elle-même fondée sur le principe de la complémentarité, principe rendant responsable en premier lieu tout Etat de rechercher et punir les auteurs des crimes les plus graves des droits de l’homme. Il faut noter que ces crimes sont imprescriptibles et inamnistiables. Il faudra veiller à ce que les procédures devant ce tribunal spécial gambien s’inscrivent dans le cadre d’un procès juste et équitable garantissant les plus hauts standards en la matière conformément à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.
Pour terminer, il y a lieu de souligner que la mise en place de ce tribunal par l’instance sous régionale, en l’occurrence la CEDEAO, avec l’accord des autorités nationales de la Gambie, suivant une forte demande de la population constitue à la fois un signal fort envoyé vers les auteurs de violations des droits de l’homme et un espoir pour les victimes de telles violations en Afrique.
Abuja, le 26 décembre 2024
–Juris Guineensis No 73
Me Thierno Souleymane BARRY, Ph.D
Docteur en droit, Université de Sherbrooke/Université Laval (Canada)
Professeur de droit, Consultant et Avocat à la Cour