Par lequotidiensn :(Envoyé spécial) – Ce 20 juin, cela faisait 9 ans que Mamadou Konté décédait des suites d’une maladie. A Marseille, le Festival Africa Fête dont il a été l’inspirateur et le fondateur ferme ses rideaux après de riches plateaux. Tous les artistes lui ont rendu hommage. C’est le cas par exemple de la chanteuse guinéenne Sayon Bamba, qui s’est prêtée à nos questions.

Sayon Bamba, présentez-vous un peu mieux à nos lecteurs ?

Je suis Sayon Bamba, chanteuse, danseuse, comédienne, opératrice culturelle, maman (Ndlr : éclat de rires), fille, cousine, femme, femme d’Afrique engagée et militante contre l’excision.

Vous avez dit mère…

Oui ! Je suis mère de 3 enfants : un de 18 ans, une de 11 ans et demi et un petit garçon de 5 ans.

Est-il facile de cumuler la carrière musicale et la vie de mère ?

Ça, il faudrait demander à mes enfants ! C’est certain, ça donne une vie intéressante. Au lieu d’être une maman classique, ils ont une maman qui fait de la musique et qui ramène autre chose à la maison. C’est un peu plus joyeux. C’est moins caricatural. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de règles.

Cela vous arrive-t-il de chanter pour eux comme si vous étiez en train de leur faire un concert ?

Oui, absolument ! Mon disque, qui est sorti et qui s’appelle Discothèque, est un disque que j’ai conçu essentiellement pour ma fille parce qu’elle voulait que je lui fasse de la musique pour danser. Elle m’a dit : «Maman je viens à tes concerts, c’est très bien ; mais il n’y a pas d’enfants, il n’y a que des adultes dans tes concerts. Moi, je veux que tu me fasses de la musique pour moi, pour danser». J’ai donc conçu Discothèque qu’ils ont beaucoup écouté avant que ça ne sorte. J’ai écouté leurs points de vue.

Il y a plein de chansons qui sont faites exprès pour mes enfants. Dans le prochain album, il y a une autre chanson que j’ai également écrite pour ma fille. Comme j’étais loin d’elle et qu’elle est dans la phase d’adolescence, elle va grandir, j’ai voulu lui parler par la musique. A 11 ans, elle découvre un tout petit peu la vie de femme. J’ai écrit cette chanson : La fille de Conakry pour qu’elle sache quel genre de fille j’ai été, que je suis, pour s’en servir comme modèle et essayer de trouver sa voie. Donc tout le temps, on fait des choses pour nos enfants.

C’est une manière aussi d’éduquer au-delà d’elle des jeunes filles de son âge qui sont en Guinée et dans le monde ?

Oui, c’est aussi cela. Il faut déjà commencer par nos propres enfants et élargir. On aime tellement nos enfants et on veut tellement les protéger, du coup ce qu’on leur sert, si c’est bon pour eux ça le sera aussi pour les autres. C’est ce qui nous façonne. Par rapport à l’excision par exemple, quand j’ai eu ma fille il était clair qu’il fallait que je me décide, que je me positionne par rapport à ce fléau et très rapidement il était hors de question que l’on excise ma fille. Nos enfants nous aident à nous assumer dans la société, à décider et à servir à d’autres d’exemple.

L’excision, vous avez été victime de cela ?

(Moment d’hésitation) Moi je n’ai… j’ai été victime d’une certaine façon de l’excision, parce que ma mère était dans une résistance cachée. Elle jouait  le jeu de l’excision et était allé jusqu’à commettre l’acte sans véritablement être coupé. Mais le traumatisme reste parce que l’enfant n’est pas dans la confidence. L’enfant ne sait pas que ce n’est pas bon, c’est plus tard qu’on le sait. Quand on voit la différence, quand on n’est pas excisé, on le sait.  J’ai eu cette chance, mais en même temps ce traumatisme est resté et je me suis toujours dit hors de question que je fasse ce traumatisme à ma fille. Il ne faut absolument pas qu’on la touche.

Est-ce que ce combat contre l’excision que vous portez change un peu les choses en Guinée ?

Oui, les choses évoluent. Il y a des hommes, qui m’arrêtent des fois et me disent : «c’est bien, continuez ce que vous faites». C’est vrai, il y a certaines difficultés. Même, le travail qu’on est en train de mener sur le terrain pour le moment, c’est presque trop tard. Mais ce qu’il faut façonner ce sont les jeunes qui sont à l’école. C’est aussi pour toutes ces générations que l’on travaille… On n’espère pas de résultat immédiat, on travaille pour qu’il n’y ait plus d’excision dans 10 ans. Ça marche parce que beaucoup de filles s’identifient à notre combat et à ce que l’on fait.

Avec Africa Fête, vous revenez à Marseille, qui est aussi votre ville (Ndlr : elle a fait ses débuts dans la musique à Marseille). Quels souvenirs gardez-vous de cette ville?

Marseille, je ne l’ai jamais vraiment quittée. Je suis profondément Marseillaise dans la mesure où ma vie de femme à démarré à Marseille. Pour moi, c’est ma ville ; l’enfance, c’est à Conakry. Cette découverte de tout ce que je voulais affirmer s’est vraiment concrétisée à Marseille. Alors, quand je reviens ici, je reprends cette rue, je repense à mes enfants, à mes maternités, aux écoles que j’ai fréquentées, les endroits où je buvais mon thé. Et puis, j’ai toujours mes enfants ici. Donc je suis totalement liée à cette ville, ma fille est inscrite ici à l’école. Quand je viens, je suis contente d’aller la chercher à l’école, ensuite de la ramener chez son père. Dans une rue où j’ai vécu, une maison qu’on a choisie pour elle. Pour moi, Marseille c’est ma maison.

Africa Fête a-t-il quelque chose de particulier pour vous en tant qu’artiste, femme d’Afrique ?

Oui c’est assez important. Mamadou Konté était une personnalité qui avait un véritable engagement. Ce n’était pas que des mots. Il a pris part à pas mal de choses. Il a fait évoluer la société africaine d’une certaine façon et laissé son empreinte. Ce festival est un beau festival, un festival militant, très humain. Il y a une bonne ambiance à Africa fête. Le but, c’est que ce festival perdure. Justement pour rendre hommage à cet homme. Il est exactement comme il aurait aimé que soit le festival. Et forcément ça a du sens. On devrait même en voir plus, s’inspirer plus de ce type d’événements et de festivals pour faire avancer les choses en Afrique et dire que les Africains peuvent faire des choses dans la durée ou peuvent être à l’origine de quelque chose d’extraordinaire.

 

S’il y a quelque chose à changer ou à améliorer dans ce festival, ce serait quoi ?

Il y a toujours des choses à améliorer dans un festival, ou dans une manifestation. On tire toujours des leçons de ce qu’on a fait ou non, pour améliorer plus. Ils ont la volonté d’améliorer, mais ce sont les moyens qui manquent. Ce qu’il faut, c’est appeler à avoir plus de moyens.

Ce qu’il faut faire sur Africa fête, pourquoi pas l’ouvrir encore ? Il est déjà assez riche, il y a du cinéma… C’est vraiment un beau festival. Déjà dans la configuration actuelle, on peut toujours faire mieux. Peut-être faire des toiles géantes, proposer aux enfants un espace sur un mur d’expression autour du thème Africa fête. Il manquerait des œuvres éphémères dans Africa fête. Ce serait bien de le faire.

Vous disiez dans un entretien que Angélique Kidjo (Ndlr : artiste béninoise) vous a ouvert les yeux, parce que depuis que vous l’avez rencontrée votre façon de travailler a changé. Où en êtes-vous aujourd’hui par rapport à votre carrière et par rapport à ce que vous disiez à l’époque ?

J’ai évolué, forcément. Quand on a rencontré des femmes comme Angélique Kidjo ça nous forge, on s’en inspire. D’autant plus que moi j’ai eu la chance qu’elle prenne du temps, discute avec moi et me conseille. Ça a dû forcément changer des choses en moi. Ça m’a changé en termes d’engagement et ce retour en Guinée est aussi dû à cela. Même par rapport à ma façon de faire la musique. Ça m’a permis de réfléchir à faire de la musique autrement et d’aller dans de nouvelles propositions qui me plaisent beaucoup. Elle m’avait dit : «Dans la nouvelle proposition que tu voudras faire, fais quelque chose qui te correspond à toi, ne t’impose pas à un univers qui va plaire aux gens. Essaie d’abord de te plaire à toi». Et là, je suis dans une quête de ce plaisir personnel. Et justement, c’est pour ça que ça marche bien en Guinée maintenant. Ma musique marche très bien. Je suis contente, parce que ça faisait longtemps que ça marche ici, mais là-bas, seuls les avertis me connaissaient. Aujourd’hui la rue en Guinée me connaît, les femmes du marché me connaissent. Je suscite de l’intérêt et c’est plutôt pas mal. Je suis contente.

Les Guinéens et les Gui­néennes se retrouvent éga­le­­ment dans votre mu­sique ?

Absolument ! Ils se reconnaissent même dans mes thèmes. La femme guinéenne adore ce que je fais. Je suis souvent arrêtée par des femmes qui aiment bien. J’ai des messages de soutien. C’est une autre approche de travail et cela se passe franchement bien.

 

Vous avez chanté «Bana­nia» où vous dissuadez les jeunes de ne pas émigrer, alors que vous êtes vous-même une artiste nomade. Un paradoxe, non ?

Je suis pour la libre circulation. Je n’aime pas l’idée de confiner les gens. L’être humain a toujours voyagé. Sinon, comment vous expliquez que le premier homme ait été retrouvé en Afrique et maintenant l’homme est partout sur la planète. Cela prouve bien qu’à un moment donné on part d’un point A vers plein de points. C’est ce qui est logique. Maintenant dans le concept du voyage, ce que je reproche aux jeunes c’est la volonté de partir pour partir. Partir sans aucun projet, partir parce que juste on dit qu’on veut partir. Partir pour faire quoi ? Souvent la plupart, plus de 90% des jeunes ne savent pas pourquoi ils partent. Du coup, la plupart dans ces 90%, 70% se retrouvent ici et ne font rien d’intéressant et (…) très peu s’en sortent. C’est parce que quand le départ n’est pas réfléchi, quand on ne peut pas poser le pour et le contre, c’est la catastrophe.

Quand je suis venue m’installer en Europe, c’était complètement le hasard. J’étais amoureuse d’un homme avec qui j’avais le même métier. On travaillait ensemble, il était question qu’on s’installe en Guinée parce que moi je vivais déjà de mon art là-bas et lui vivait de son art ici. Il était prêt à venir, parce qu’il adorait l’Afrique…

 

Cela vous a donc aidé ?

On était dans la libre circulation dans le monde mais il a eu une tournée, le mois où lui il devait arriver. Et on a fait un calcul bête. On a calculé financièrement, voilà ce que ça rapporte quand moi je travaille en Guinée. Je suis comédienne au Théâtre national de Guinée, je touche tant par mois, plus mes cachets avec les Amazones de Guinée. Si toi tu viens, on aura tant, et si on fait la tournée on aura tant. L’argent qu’il gagnait ici en tournée était dix fois plus élevé que ce qu’on gagnait là-bas. Donc tout s’est décidé tout seul. C’est ce que je demande aux jeunes. Il faut faire de vrais calculs. Faut pas partir dans le hasard en disant : Dieu va faire le reste. Non ! Dieu n’a pas que ça à faire…

Est-ce qu’il y a actuellement un album en vue ?

Oui, je suis en studio, en pleine préparation d’un album. J’ai eu un peu de retard avec l’album qui devrait normalement sortir. Ça s’appelle Newgatembo (Tra­duc­tion : Bidonvilles) que j’ai écrit par rapport à mon retour en Guinée. J’interpelle sur ces plages qui sont sales, avec tous ces plastiques qui traînent et toutes ces poubelles. On ne sait plus que faire de nos poubelles, alors Newgatembo a jailli. Dans deux mois ça devrait sortir d’abord en Afrique, et puis probablement en septembre ou novembre. Ça dépendra du calendrier du distributeur, en France et dans le monde.

La Guinée, c’est à côté du Sénégal, vous viendrez quand pour un concert ?

Au Sénégal, dès que je suis invitée, je viendrais. Je cavalerais, j’ai des amis au Sénégal. Je suis allée à un festival du théâtre du Sénégal, il y a deux ans. J’ai joué d’ailleurs dans le Grand théâtre et je reviendrais avec plaisir.

Vous avez des connexions avec des artistes sénégalais ?

J’aimerais bien, j’ai une connexion avec une comédienne sénégalaise, Diariétou Keïta, qui a fait pas mal de choses.

 

Et dans le milieu de la musique ?

Non. J’ai rencontré Ismaïla Lô à Rio, au Brésil, ça s’est très bien passé. Une très belle rencontre avec son manager, ça s’est très bien passé. J’aimerais bien aimé revoir ces personnes qui avaient une bonne dynamique. C’est possible, disons Inch’Allah.

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