La jeune blogueuse  a créé un concept qui sort de l’ordinaire. #SelfieDéchets, c’est le nom de sa campagne  sur les réseaux  pour alerter les citoyens sur l’insalubrité dans la capitale. Conakry est sale ! Tout le monde le dit sans rien faire.  Fatoumata Chérif a décidé de  mettre  citoyen et pouvoir public face à leur responsabilité. En bonne activiste, elle nous parle de la campagne innovante #SelfieDéchets.

 

Tu viens de lancer la campagne de lutte contre l’insalubrité avec hashtag #SelfieDéchets  Qu’est-ce que tu vises à travers tes posts sur les réseaux sociaux ?

Merci pour l’opportunité que vous m’offrez pour parler de la campagne #SelfieDéchets. Le #SelfieDéchets est une campagne d’alerte à l’insalubrité dans la capitale Conakry. Il n’est de secrets pour personne que les déchets ont pris une place dans le schéma de la ville de Conakry. Les citoyens se sont habitués à vivre avec les tas d’immondices qui s’érigent un peu partout dans les caniveaux, les bordures de mer, les écoles, les marchés, devant les Ministères et même les mosquées. L’objectif visé à travers cette campagne est de tirer sur la sonnette d’alerte pour attirer l’attention des citoyens sur l’état d’insalubrité poussée de la capitale qui n’honore pas du tout le pays. Il s’agit également de pousser les autorités à accorder plus d’importance à l’hygiène publique car la question des déchets est une question de santé publique. Mais tout montre que la question n’est pas au centre de la Gouvernance.

Pourquoi Facebook et twitter ?

Les réseaux sociaux facebook et twitter sont les plateformes de communication ciblées dans cette campagne car la plupart des guinéens utilisent ces outils pour communiquer, se divertir, s’informer.

Et comment ça marche ?

Le principe est  de prendre une photo ou une vidéo en selfie devant les tas d’immondices tout en ressortant les lieux environnants. La photo prise en selfie prouve qu’en tant que citoyen, nous sommes responsables de ces déchets. Elle signifie également que nous avons pris conscience de la situation. Cela prouve notre engagement à nous impliquer dans la lutte en tant qu’acteur de développement durable et à sensibiliser nos concitoyens tout en nous impliquant dans les actions d’assainissement de notre localité.

 

Peut-on dire que cette campagne faite  avec peu de moyen ?

J’ai lancé cette campagne sur fonds propres.  En tant que citoyenne engagée et activiste du développement,  j’ai réfléchis à une solution  ‘’durable’’ qui est de plus miser sur le capital humain que financier. Je me suis dite qu’il faudrait susciter l’engagement du citoyen car lorsque les gens se sentent directement touchés par une situation, ils peuvent s’impliquer et cela bénévolement et l’action aura plus d’impact. Alors que l’argent mis en avant allait rendre l’action ponctuelle sans continuité. Je me suis dite qu’en déposant un projet de financement, le temps de l’analyse, de l’éventuel accord (ce qui est des fois rares) allait retarder le processus, et Conakry allait être de plus en plus sale.  C’est ainsi que l’Internet a été la voie que j’ai utilisée pour passer mon message. Tout le monde a un téléphone et nous sommes tous connectés en permanence, donc nous pouvons échanger, nous engager et c’est plus efficient en terme de timing.

Vu l’efficacité de la campagne, les choses bougent du côté financier à présent ?

Pour l’instant la campagne n’a pas bénéficié de soutien financier. Mais beaucoup de citoyens se sont déjà engagés dans la campagne et j’avoue que les résultats commencent à se faire ressentir sur le terrain.

Bien entendu,  les subventions nous aideront à payer des kits d’hygiènes (bottes, masques, gants, gel mains, savons),  de nettoyage (brouette, pèle…), des cartes de recharges pour l’Internet. Elles   nous permettront  de faire des gadgets de communication tels que des T-shirts,  des casquettes, des spots et autres supports de communication. Mais je me dis que tout bon guinéen patriote peut apporter son soutien en donnant de son temps, de son esprit, de son avoir pour le bien de la Guinée. Les mécènes, les entreprises qui ont une responsabilité sociétale environnementale,  les sponsors, les industriels, les personnes ressources sont invitées à rejoindre la campagne. Ils ne doivent pas  attendre qu’on dépose des courriers de soutien, ou qu’on s’asseyent  à leurs bureaux du matin ou soir pour les implorer à nous soutenir, ils peuvent, doivent et devraient  nous soutenir. Ce sont les paperasses qui tuent les actions sociales dans ce pays. Donc l’heure n’est plus aux réunions, aux ateliers,  aux discours ‘’Non Sense’’, il est temps d’agir car les maladies n’attendront pas. Il faut être proactif.

Beaucoup de bénévoles participent déjà à leur manière à la campagne, même ceux qui vivent hors du pays. Le logo par exemple de la campagne et des affiches ont été créés par des guinéens de la Diaspora. Les médias de la place  et les grandes chaines internationales nous appuient pour la vulgarisation des messages. C’est dire que chacun peut jouer un rôle positif et constructif. C’est vraiment le résultat que je voulais, que la question des déchets soit appropriée de tous et de chacun.

Conakry était l’une des plus belles capitales l’Afrique. Que s’est-il passé à ton avis pour quelle se retrouve dans un état peu enviable ?

 fattEffectivement  Conakry  avait l’appellation de ‘’Perle de l’Afrique’’.  D’après mes enquêtes, c’est ici que la Banque Mondiale a lancé le projet des PME de collecte des ordures il y’a une vingtaine d’années. C’est de la Guinée que  beaucoup de pays se sont inspirés pour implémenter la Gestion  des ordures. C’est d’ailleurs des experts guinéens du Service  Public de transports des déchets (SPTD) qui seraient partis pour le partage d’expérience.

La situation de nos jours s’est dégradée par manque de politique d’urbanisation, de gestion opérationnelle des déchets, mais aussi par la démographie de Conakry qui a évolué au fil des années (Conakry est à près de 2 millions d’habitants) et produit quotidiennement plus 1 000 tonnes de déchets. C’est dire que des études n’ont pas été faites pour prévenir ces types de problèmes.  Il n’y a pas de tableaux de bord prévisionnels qui peuvent dresser l’évolution des activités économiques, sociales, politiques, sanitaires, environnementales, éducatives sur une échelle de temps.

Il y a eu beaucoup de campagne d’assainissement, il y en a encore. Quelles solutions concrètes  proposes-tu ?

Conakry n’a qu’une seule décharge sauvage située en plein air à Concasseur. Les ordures y sont entassées et brûlées sans être triées. Imaginez l’impact que cela peut avoir sur la santé des populations. Pour inculquer une éducation citoyenne aux populations, je veux parler de la collecte, le tri et le recyclage des déchets, ainsi que l’usage de certains produits nocifs comme le charbon, le bois de chauffe, les plastiques pour ne citer que ceux-là. Il faut vraiment que tout soit mis en place, que les lois soient appliquées et que le Gouvernement lui-même respecte ses engagements, que les Députés arrêtent de voter des lois s’ils ne suivent pas leur application. Il est inadmissible que la Guinée soit signataire des conventions de lutte contre le changement climatique et la désertification et qu’en Guinée nous continuons à  vivre de plastiques non dégradables qui polluent la nature, la mer, qui impacte l’agriculture, que nous continuons à avoir des usines en pleine ville, que nous produisons des engrais chimiques alors que les déchets peuvent être transformés en engrais, en énergie domestique, en charbon et autres produits utiles aux ménages.

Je peux dire que l’insalubrité à Conakry, est la somme des différentes relaxes au niveau de l’application des engagements que la Guinée prend. Sinon, il n’y a pas de secrets à la salubrité, il suffit de le vouloir. Mais on a souvent l’impression que l’insalubrité de la capitale profite à certaines personnes.

Quel rôle le citoyen doit jouer pour rendre sa ville propre ?

Beaucoup de campagnes d’assainissement échouent car  en tant que volontaires, il nous arrive  parfois de nettoyer et que les ordures reviennent quelques heures après. Nous nous sommes dit qu’il faut combattre le mal à la source en changeant d’approche.  En allant vers les citoyens qui salissent pour comprendre pourquoi ils déposent les ordures dans la rue. C’est ainsi qu’il a été établi que la question des déchets est indépendante de la volonté des populations car ils n’ont pas d’autres solutions que de jeter ou de brûler les déchets.

Par ailleurs, il est de notre devoir de les sensibiliser pour que chaque riverain veille sur sa santé. Il faut noter que les maladies que peuvent causer les déchets sont multiples. Les familles sont déjà très pauvres et le système de santé de proximité est un peu bancal. Donc il faut que chaque citoyen prenne conscience que les actes qu’il pose a une incidence sur son environnement direct.

 En attendant de trouver une solution définitive aux transports des déchets et leur transformation, chaque citoyen peut trier ses déchets pour séparer les objets recyclables, des objets non recyclables. Les bouteilles, boites, les sachets d’eau, les boites de tomate, de produits cosmétiques, les objets électriques, informatiques, de menuiserie, des garages, de plomberie, les produits médicaux tous sont souvent mis ensemble alors le tri peut se faire au niveau des ménages. En plus c’est une source de création d’emplois car beaucoup de jeunes et de femmes vivent de recyclage dans les décharges sauvages. Mais ils le font sans protection. En triant les déchets, on pourra contribuer à réduire les risques sur leur santé. Ils pourront ainsi vendre les objets sans être obligés de fouiller les immondices. De petites unités industrielles peuvent même être créées pour être l’intermédiaire entre les ménages et les industries en allant de maison en maison récupérer les objets utiles et en rémunérant directement les ménages.  Ce sont de petites solutions que l’on peut adopter, et au bureau, et à la maison et dans les écoles. Trop de choses encore utiles sont jetées. Sinon, on peut vraiment donner une seconde vie à tous les objets.

 La gestion des ordures en Guinée est passée dans plusieurs main mais toujours pas de solution…

fattttC’est vrai que la responsabilisation d’une structure en charge des déchets à tarder à se mettre en place car beaucoup de Ministères se sont vus attribués la tâche, le Gouvernorat, les Mairies, les collectivités décentralisées,  et même des entreprises privées. Mais la solution tarde à être trouvée. On oublie que la gestion des déchets est une question transversale. On ne peut pas parler de déchets sans urbanisation, sans habitats, sans décentralisation, sans industrie, sans environnement, sans transports, sans travaux publics, sans coopération, sans plan, sans santé, sans sécurité, sans économie, sans budget, sans ressources humaines, sans éducation, sans science, sans agriculture, sans commerce, sans loi, sans société civile…C’est dire que  la gestion des déchets doit être interministérielle, multifactorielle. Aucun n’acteur ne doit être mis à l’écart. Mais on se demande parfois, si on sait ce qu’on veut.

Ce n’est que très récemment qu’une Agence a été mise en place. Mais pour l’instant nous ne connaissons pas le plan d’action de cette structure.

Sans nous venter, la campagne a précipité la prise de certaines décisions liées récemment au curage des caniveaux, au nettoyage des voies publiques et des marchés.

Je profite de votre tribune pour féliciter le Gouverneur de la ville de Conakry, Général Mathurin Bangoura, qui, depuis sa prise de fonction, se bat pour que Conakry ait une image digne. Ses différentes initiatives sont à saluer et il a besoin de plus d’appuis financiers et logistiques pour  aboutir à certains résultats comme le déploiement de la Police verte.

Pour l’instant, ce sont les PME qui se débrouillent avec leurs charrettes de fortune, pour  collecter et transporter les déchets)  aux différents lieux de centralisation qui leur sont indiqués. Mais les services publics de transports de déchets n’assurent pas régulièrement le transfert à la décharge. Ce qui fait que les déchets restent entassés pendant longtemps dans les carrefours et finissent par être brûlés par les riverains à cause de l’odeur envahissante.

Quel appel lances-tu ?

J’exhorte les jeunes à rejoindre massivement cette campagne. Lutter contre l’insalubrité est une responsabilité commune des citoyens quelque soit leur âge. J’ai élaboré un guide qui peut leur servir pour participer à la campagne : des mesures d’hygiène aux méthodes de prise de vue et de sensibilisation et de communication de proximité.

La campagne se rendra bientôt sur l’île de Kassa qui commence à être envahie par les déchets plastiques et autres ordures nuisibles. Nous avons de belles plages, un bel environnement, un patrimoine historique, culturel et environnemental à sécuriser pour les futures générations. Nous ne voulons plus être taxées de populations ‘’sales’’ par les étrangers qui viennent.

J’invite vos lecteurs à participer à la campagne #SelfieDéchets et à s’identifier comme Ambassadeur sur notre plateforme http://bit.ly/2hzpx44. Beaucoup de jeunes de la Mauritanie, de la RDC et d’autres pays voisins ont déjà commencé à initier la campagne dans leurs pays. Pourquoi pas ceux de la Guinée dans les différentes localités dupays. L’activisme des jeunes portent toujours fruit. Sortons des manipulations politiques, des manifestations de rue pour des actions concrètes qui peuvent sauver la planète. C’est notre seul héritage.

Entretien réalisé par Djeky Diallo