Trois ans après la prise du pouvoir par la force, du Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), mené par le Colonel au moment des faits, aujourd’hui Général Mamadi Doumbouya, l’heure est venue de dresser un bilan de cette période marquée par de nombreuses promesses, mais aussi par des controverses qui ne cessent de créer d’incertitudes à la population guinéenne.
Une promesse de refondation en question
Le 5 septembre 2021, lorsque le Colonel Doumbouya et ses hommes ont renversé le régime d’Alpha Condé, ils ont immédiatement promis un retour rapide à un pouvoir civil. Cette transition devait s’accompagner d’une refondation de l’État guinéen, un terme qui, à l’époque, résonnait comme une lueur d’espoir pour de nombreux citoyens. Cependant, trois ans plus tard, cette refondation semble avoir pris une tournure amère pour une grande partie de la population. Selon certains observateurs, les actions entreprises sous cette bannière n’ont fait qu’approfondir les fractures sociales et politiques dans le pays.
La refondation de l’État, pour moraliser la vie publique, responsabiliser l’administration et restaurer l’autorité de l’État 2 ème point des 5 valeurs qui ont amené les forces vives du pays à adhérer aux idéaux du CNRD semble basculer autrement.
Le « sal boulot » : une déclaration lourde de conséquence
À l’occasion de la session inaugurale du cadre de concertation, le 15 avril 2022 au Palais Mohamed V de Conakry, Colonel Doumbouya n’a pas hésité à déclarer : « On va faire le sale boulot ». Cette phrase, prononcée avec fermeté, a rapidement éveillé l’inquiétude au sein de la population. Peu de temps après, les actes de répression se sont intensifiés, confirmant les pires craintes de ceux qui redoutaient une dérive autoritaire.
Mais où cette promesse de « sale boulot » a-t-elle conduit la Guinée ? Le pays a connu une vague de violences et de répressions qui n’a cessé de s’aggraver au fil des mois. Les droits humains, autrefois proclamés comme un pilier fondamental de la refondation, ont été mis à mal, avec des conséquences dramatiques pour les citoyens .
La sécurité en déclin : quand la peur règne
La sécurité des citoyens guinéens a été l’une des premières victimes de cette ère de refondation. Le dernier cas est l’assassinat brutal de l’opérateur économique à Kobaya, El Hadj Hassimiou Diallo, illustre tragiquement la détérioration de la situation sécuritaire. Alors que le CNRD promettait une lutte acharnée contre la criminalité, les actes de violence se sont multipliés, plongeant de nombreuses familles dans le deuil et la peur .
Disparitions forcées et répressions : un retour en arrière ?
Sous le régime du CNRD, les disparitions forcées, les séquestrations et les arrestations extrajudiciaires sont devenues monnaie courante. Des figures influentes telles que Oumar Sylla, alias Foniké Menguè, et Mamadou Billo Bah du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) ont disparu, tandis que d’autres, comme Sékou Jamal Pendessa, ont été emprisonnées sans procès équitable. Ces actes rappellent tristement les sombres périodes de l’histoire guinéenne où l’opposition politique et la dissidence étaient brutalement réprimées.
L’exil forcé de leaders politiques comme El Hadj Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré n’a fait qu’accentuer cette atmosphère de terreur. Ces départs contraints symbolisent la volonté du CNRD de museler toute opposition, réduisant ainsi l’espace de dialogue et de débat, essentiel dans une démocratie .
L’immigration clandestine : une conséquence inattendue
La pression politique et la répression ont poussé de nombreux guinéens à chercher un avenir meilleur au-delà des frontières du pays. L’augmentation de l’immigration clandestine est devenue un phénomène alarmant, avec des jeunes risquant leur vie dans des traversées périlleuses pour échapper à un avenir incertain en Guinée. Ce flux migratoire massif souligne l’échec du CNRD à créer des conditions favorables pour la jeunesse, pourtant considérée comme la colonne vertébrale de toute refondation durable .
Droits de l’homme en péril : une liberté en érosion
Les droits de l’homme, pierre angulaire de toute société moderne, sont aujourd’hui en péril en Guinée. La fermeture de médias critiques, les restrictions imposées à la liberté d’expression et de réunion, ainsi que les menaces constantes contre les journalistes, ont plongé le pays dans une ère de censure et de répression. La mort du Général Sadiba Koulibaly, dans des circonstances encore troubles, est un exemple tragique de l’opacité et du climat de suspicion qui règne au sein des forces armées et au-delà .
Les assassinats de citoyens qui osent exprimer leur mécontentement publiquement sont devenus fréquents, instillant une peur qui paralyse toute contestation. Dans le même temps, l’inflation galopante des prix des denrées alimentaires a plongé des milliers de familles dans la précarité, exacerbant ainsi le mécontentement populaire .
L’après « sal boulot » : quel avenir pour la Guinée ?
Alors que le pays s’enfonce dans cette crise multiforme, les citoyens s’interrogent sur l’avenir de la Guinée sous le CNRD. L’annonce récente par le Conseil National de la Transition (CNT), dirigé par Dr Dansa Kourouma, d’un avant-projet de constitution autorisant la candidature indépendante, a jeté un froid sur la scène politique. Cette disposition, perçue par beaucoup comme une manœuvre pour permettre à Doumbouya de briguer la présidence, suscite des doutes et des inquiétudes quant à l’avenir de la démocratie en Guinée .
Le mal du CNRD avec le terme de refondation n’est pas seulement une question de terminologie, mais une réalité douloureuse pour une population qui voit ses espoirs de changement s’évanouir, remplacés par la crainte d’un retour à des pratiques autocratiques. La Guinée, plus que jamais, se trouve à un carrefour décisif où les choix faits aujourd’hui détermineront l’avenir de toute une nation.
Ibrahima Foulamory Bah pour lecourrierdeconakry.com
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