Selon l’OMS, les mutilations génitales, appelées aussi mutilations sexuelles féminines, désignent « toutes les interventions aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme et/ou toute autre lésion des organes génitaux féminins pratiquée à des fins non thérapeutiques ».
Pour Shell-Duncan et al cité par l’UNICEF, l’excision/mutilation génitale féminine recouvre “une série de pratiques incluant l’ablation ou la lésion partielle ou totale des organes génitaux externes pour des raisons non médicales”. Cette procédure peut comporter l’utilisation d’instruments non stérilisés, artisanaux, ou rudimentaires. La terminologie appliquée à cette procédure a connu plusieurs modifications importantes. Lorsque la pratique commença à être connue au-delà des sociétés dans lesquelles elle appartenait à la tradition, elle était généralement désignée sous le terme de “circoncision féminine”. Cette appellation, cependant, établit un parallèle direct avec la circoncision masculine et prête à confusion entre deux pratiques bien distinctes. Dans le cas des filles et des femmes, le phénomène illustre une inégalité de genre aux racines profondes, qui assigne à la femme une position inférieure dans la société, de même qu’il entraîne de graves conséquences physiques et sociales. Cela n’est pas le cas de la circoncision masculine qui peut contribuer à prévenir la transmission du VIH/SIDA.
L’expression “mutilation génitale féminine” (MGF) se répandit vers la fin des années 70. Le mot “mutilation” non seulement établit une distinction linguistique claire avec la circoncision masculine, mais encore, du fait de sa connotation fortement négative. En 1990, ce terme fut retenu lors de la troisième conférence du Comité interafricain sur les pratiques traditionnelles affectant la santé des femmes et des enfants (CIAF), à Addis-Ababa. En 1991, l’OMS recommande l’adoption de cette terminologie qui depuis est largement utilisée dans les documents des Nations Unies.
Le mot “mutilation” souligne l’idée que la pratique constitue une violation des droits humains des filles et des femmes, et renforce ainsi l’engagement national et international en faveur de son élimination. Cependant au niveau des communautés, le terme peut susciter des problèmes. Les langues locales décrivent généralement la pratique par le mot moins catégorique d’“excision” ; il est compréhensible que les parents n’apprécient pas la suggestion qu’ils “mutilent” leur fille. C’est dans cet esprit qu’en 1999 le rapporteur spécial des Nations Unies sur les pratiques traditionnelles a demandé que l’on fasse preuve de tact et de patience à cet égard et a attiré l’attention sur le risque de “démoniser” certaines cultures, religions et communautés. Ainsi le terme “excision” s’est-il répandu pour éviter d’aliéner les communautés.
L’excision serait pratiquée dans 29 pays d’Afrique et du Moyen–Orient et, dans une moindre mesure, dans certaines communautés en Asie (Malaisie, Indonésie, Irak, Inde, Pakistan), en Amérique du Sud (Colombie, Pérou) ainsi que parmi les communautés de la diaspora dans les pays où elle n’est pas traditionnellement pratiquée (Europe, Etats-Unis, Canada et Australie).
Les origines de la pratique ne sont pas claires mais celle-ci serait apparue avant le Christianisme et l’Islam. Certaines recherches lui trouvent une origine en Nubie, dans la Corne de l’Afrique, dans les régions qui correspondent aujourd’hui à l’Egypte et au Soudan. Des momies égyptiennes présenteraient en effet des marques attestant de la pratique.
Certains chercheurs en sciences sociales pensent que l’excision était pratiquée sur les femmes dans la société pharaonique par les classes sociales les plus élevées. Par phénomène d’imitation sociale, la pratique s’est progressivement répandue dans l’ensemble de la société, les classes sociales moins élevées ayant commencé à exciser leurs filles pour pouvoir les marier aux hommes de rang supérieur.
La pratique se serait ensuite répandue vers l’ouest de l’Afrique et dans l’est, au Yémen. Les différents groupes ethniques se sont appropriés l’excision et l’ont intégrée dans leurs propres traditions, c’est pourquoi une multitude de justifications peuvent aujourd’hui être invoquées par les groupes qui perpétuent la pratique.
En Europe de l’Ouest et aux Etats-Unis, l’excision a été pratiquée jusque dans les années 50 pour traiter des « maladies » telles que l’hystérie, l’épilepsie, les troubles mentaux, la masturbation, la nymphomanie, la mélancolie ou encore l’homosexualité. Aujourd’hui il s’agit d’une pratique liée aux mouvements migratoires.
Dans les sociétés où elles sont pratiquées, les Mutilations Sexuelles Féminines (MSF) sont le reflet d’une inégalité entre les sexes et traduisent le contrôle exercé par la société sur les femmes. Le maintien de la pratique est sous-tendu par un ensemble de croyances culturelles, religieuses et sociales. Les raisons invoquées par les groupes qui perpétuent l’excision peuvent varier selon la région, l’ethnie ou la communauté et peuvent se cumuler.
De façon transversale, il est important de comprendre que l’excision constitue une norme sociale. Dans la plupart des communautés, l’excision persiste en raison d’un sentiment d’obligation sociale très fort. Par conséquent, même lorsqu’elles sont conscientes des répercussions sur la santé physique et psychologique de leurs filles, les familles préfèrent perpétuer la pratique pour ne pas subir jugements moraux et sanctions sociales.
Pour d’autres communautés, la raison de l’excision s’explique par la réduction de la libido de la femme et la garantie qu’elle n’aura pas de rapports sexuels avant le mariage et qu’elle restera fidèle à son mari pendant sa vie d’épouse. Il existe de plus un point de vue partager par certains selon lequel l’excision renforcerait le plaisir sexuel des hommes.
L’excision est également pratiquée dans différentes communautés religieuses, aussi bien chrétiennes que musulmanes et autres. Les communautés qui pratiquent l’excision citent souvent la religion comme raison importante pour cette pratique. Mais aucune des religions mondiales n’a de preuve écrite qui exige l’excision. De plus, la coutume de l’excision était déjà pratiquée avant l’apparition du christianisme ou de l’Islam.
Les conséquences médicales sont souvent très lourdes pour les bébés, fillettes, adolescentes ou jeunes femmes, car les opérations sont majoritairement effectuées, même dans les pays d’immigration, dans des conditions sanitaires déplorables, par des exciseuses non initiées à l’hygiène la plus élémentaire, avec des instruments non désinfectés (vieilles lames de rasoir, couteaux, ciseaux, tessons de bouteilles, etc.) et des accidents interviennent si l’exciseuse fait un geste maladroit. Des hémorragies et des infections sérieuses peuvent survenir dans l’immédiat, susceptibles d’entraîner la mort et, plus tard, des complications importantes sont possibles surtout s’il y a infibulation (problèmes urinaires, gynécologiques, obstétricaux, de stérilité, etc.). Sans utilisation de l’anesthésie, la douleur subie est intense. Le choc psychologique est toujours important, essentiellement si I ’opération n’est pas acceptée par l’intéressée, même si la coutume et la pression sociale sont prégnantes.
Dans le cas spécifique de l’infibulation, la consommation du mariage se fait dans des conditions particulièrement douloureuses pour la femme. En effet, immédiatement après la désinfibulation effectuée par le mari (ou, en cas d‘échec, avec un outil tranchant), la femme est obligée d’avoir des rapports avec lui. Parfois elle est recousue (18), au moins provisoirement, après la naissance de ses enfants (jusqu’au quatrième ou cinquième), lors des divorces, de l’absence du mari (même pour une durée d’un ou deux mois). Au moment de l’accouchement, la femme encourt de graves risques (comme la déchirure du périnée) et même la mort.
Les problèmes de frigidité ou d’absence de plaisir sexuel après les mutilations sont aussi à prendre en compte dans le cadre de I ’épanouissement psychologique de la femme. Les cas d’anxiété, d’angoisse et de dépression ne sont en effet pas rares chez les excisées.
En République de Guinée, les résultats de l’enquête réalisée par le DNS indiquent que 41% des parents enquêtés déclaraient que leurs filles excisées avaient eu au moins une complication : 31% des filles ont eu des saignements excessifs, 17% des difficultés pour uriner, 13% une infection ou de la fièvre, 4% une enflure. La douleur persistante est l’inconvénient que plus de la moitié des femmes (59%) avaient évoqué ; 11% ont cité les complications médicales et d’autres problème de santé, 9% mettaient l’accent sur le fait que l’excision empêchait la satisfaction sexuelle de la femme.
Au vu des diverses conséquences de cette pratique, divers efforts ont été consentis tant à l’échelle international que locale pour son abolition. L’organisation des Nations Unies, à travers ses institutions telles que l’OMS, tente d’enrayer certaines pratiques traditionnelles au nombre desquelles l’excision occupe une bonne place. Cette volonté de l’OMS s’est traduite par la tenue de plusieurs séminaires de sensibilisation à l’attention des décideurs nationaux afin qu’ils se préoccupent davantage de l’amélioration du statut de femmes dans le monde et de l’affermissement du rôle qu’elles peuvent jouer dans le développement socio-économique des pays.
En Guinée, compte tenu des multiples conséquences de l’excision, de nombreuses mesures ont été prises pour renforcer les campagnes de sensibilisation en faveur de l’abandon total de l’excision. Ainsi, l’excision est interdite par la loi L10/AN/2000 portant sur la Santé de la Reproduction qui protège l’intégrité physique de la femme et qui prévoit également des dispositions pénales à l’encontre de tous ceux qui la transgressent. Il faut aussi souligner les activités menées par les partenaires techniques et financiers, notamment l’UNFPA, l’UNICEF, l’USAID et les organisations non gouvernementales (ONG) nationales et internationales dans le cadre du renforcement de la lutte contre la pratique de l’excision dans notre pays.
Au niveau international, des conventions existent qui condamnent l’excision (voir annexe). De leur côté, tous les Etats africains disposent, dans leur Code pénal, de textes prévoyant des peines contre quiconque se rend coupable de (coups et blessures volontaires ayant entraîné la mutilation ou la mort sans l’intention de la donner – Djibouti (26), Ghana (27), Guinée, Kenya (28), Somalie, etc. -, mais peu ont promulgué des lois spécifiques.
Le Soudan a été le premier pays africain à avoir recours à la loi ; celle-ci date de 1946 et fait suite à une longue histoire de combats menés contre l’excision. L’interdiction de l’infibulation quasi générale dans le pays et sa pénalisation (amende et peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à sept ans) ont provoqué, à l’époque, des excisions en masse dès que la nouvelle a été connue, ainsi que des émeutes quand des arrestations ont eu lieu. La loi fut alors amendée et peu de poursuites judiciaires effectuées. Le Code pénal prévoit maintenant une peine de prison de cinq ans, une amende, ou les deux peines cumulées pour les responsables d’excision.
Selon la DNS, environ 99% des femmes guinéennes sont excisées, ce qui signifie que cette pratique est toujours très répandue en Guinée. En Guinée, l’excision est pratiquée dans toutes les ethnies et dans toutes les quatre régions naturelles pour différentes raisons culturelles ou religieuses. Les taux d’excision en Basse Guinée est de 99,7% alors qu’il est de 99,5% en Moyenne Guinée, 99,6% en Haute Guinée et 99,5% en Guinée Forestière.
Selon l’EDS–MICS, en Guinée, 97 % des femmes de 15–49 ans ont déclaré avoir été excisées. Cette proportion est restée quasiment la même depuis 1999. La même source souligne que la quasi-totalité des musulmanes sont excisées contre 78 % des chrétiennes. Selon l’appartenance ethnique, on ne note aucune variation à l’exception des Guerzés chez qui la pratique de l’excision est moins répandue puisque 66 % des femmes ont été excisées contre la quasi-totalité dans les autres ethnies.
La forme d’excision la plus pratiquée en Guinée est l’entaille avec chairs enlevées. En effet, 84 % des femmes ont eu des chairs enlevées, 8 % ont subi une infibulation et 6 % seulement une entaille sans chairs enlevées. La forme la plus légère d’excision (une partie des chairs enlevées) est plus répandue en milieu urbain que rural (10 % contre 3 %), chez les Soussous (13 %), dans la région de Boké (14 %) et à Conakry (12 %). La forme la plus radicale (vagin fermé) est pratiquée surtout chez les Peulhs (13 %), chez les Tomas (12 %) et dans la région de Labé et de Conakry (15 % dans chaque cas). En outre, on ne note pas de variation importante selon l’âge.
Moussa KOUROUMA
Enseignant-chercheur à l’UGLC-S
Socio-environnementaliste