Mamadi Doumbouya, le président de la transition de Guinée, accorde son premier entretien à un média international (RFI et France 24) depuis le coup d’État du 5 septembre dernier. Il revient notamment sur les récentes sanctions de la Cédéao et sur la nomination de son gouvernement, entièrement formé de technocrates et sans aucun ancien ministre. Il évoque aussi le sort de son prédécesseur Alpha Condé, qu’il remet entre les mains de la justice.

RFI : Il y a quelques mois, deux mois exactement, vous preniez le fauteuil de chef d’État, vous renversiez le président Alpha Condé. Que s’est-il passé exactement ? Pourquoi l’avoir renversé vous qui lui devez votre place ?

Mamadi Doumbouya : Depuis plusieurs années, nous avons eu des dysfonctionnements de nos institutions, liés souvent à la tension sociopolitique dans notre pays. Et les Guinéens ne se regardaient plus comme des frères. Il se regardaient comme des adversaires politiques. La gabegie financière de notre pays nous a poussés à prendre nos responsabilités. Et la responsabilité qui est grande pour nous, d’abord je dis depuis le 5 septembre qu’il faut qu’on commence, et qu’on commence à s’aimer comme avant parce qu’on ne s’aimait plus.

Mais, vous apparteniez à ce régime-là. Vous avez servi Alpha Condé. Vous n’avez pas vu cela ? Vous n’y avez pas participé ? Vous ne vous sentez pas un peu comptable de tout ce qui se passait ?

Cela fait plus de dix ans que j’ai décidé de laisser femme et enfants, par amour pour mon pays. J’ai laissé l’Occident pour venir servir mon pays.

Ce n’est pas lui qui vous a fait revenir au pays ?

Non. J’ai décidé tout seul de venir en Guinée. Et pour être clair avec vous, le professeur Alpha Condé qui a été président de la République de Guinée, on s’est vus deux fois. La première fois qu’on s’est vus, c’était le 2 octobre 2018 pendant les fêtes d’indépendance de la République de Guinée. Et après cela, on s’était vus dans une cérémonie lors d’un décès. Je pense que la loyauté était entre le pays et un homme… le choix est vite fait. Je pense que je n’étais pas venu pour servir un homme, mais j’étais venu pour servir la République de Guinée, et en tant que soldat, ma mission était de servir la République.

Pour vous, la coupe était pleine. Vous en aviez assez ?

Oui. Quand on voyait la situation socio-politique de notre pays, il y avait tellement de violences politiques, que ça soit aussi la gabegie dans notre pays… Cela nous a poussé devant l’histoire et devant le peuple de Guinée à prendre nos responsabilités de soldats, celles de défendre l’intérêt de notre pays.

Alpha Condé aujourd’hui est en prison, en résidence surveillée. Quand sera-t-il libéré ?

Je ne suis pas un justicier. Je suis le président de la transition. Et aujourd’hui, vous avez une ministre de la Justice qui s’occupera de toutes les situations de justice.

Vous êtes le président. Vous pouvez décider de le gracier ou de le laisser partir ?

C’est tout ce qui nous a amené dans toutes ces déstabilisations, dans tous ces problèmes qu’on a, c’est la personnalisation de la chose publique. Je ne ferai pas le travail de la justice. Je suis président de la transition et non ministre de la Justice. Donc, la justice guinéenne aura toute son indépendance. Elle aura aussi tout mon accompagnement pour que ce peuple assoiffé de justice puisse vraiment se retrouver.

Vous savez que vous faites l’objet de sanctions de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), vous et les membres de la junte… Ils vous ont demandé de faire une transition de six mois. Combien de temps va durer la transition ? Dans combien de temps allez vous rendre le pouvoir pour retourner dans les casernes ?

La Cédéao est dans son rôle. Et je pense que la Cédéao, nous y tenons beaucoup parce que nous sommes membres fondateurs de la Cédéao. Nous sommes un pays qui est panafricaniste, qui comprend aussi que la Cédéao a de la fermeté, à savoir [contre] les prises de pouvoir par l’armée. Mais, nous ne sommes pas des politiques. Nous venons tout simplement rendre le pouvoir au peuple de Guinée, à travers le Conseil national de transition qu’on est en train de mettre en place depuis, [pour] pouvoir décider au nom du peuple de Guinée.

Pour vous, c’est le CNT qui doit décider de la durée de la transition ?

Il faut qu’on soit en cohérence avec ce qu’on dit. Nous avons dit qu’on donne le pouvoir au peuple de Guinée, parce que nous voulons mettre en place un système qui pourra résister aux tentations des hommes. Et pour se faire, nous laisserons au peuple de Guinée où le CNT aura toutes les composantes…

… Au Conseil national de la transition…

Le Conseil national de la transition. Il y aura toutes les composantes de la nation qui seront représentées au CNT. Le CNT pour nous est l’organe législatif qui pourra décider du chronogramme, c’est-à-dire faire le point, le diagnostic, à savoir les problèmes qu’on a, et comment trouver des remèdes à ces problèmes-là… parce que les problèmes sont connus, c’est la personnalisation de la chose publique. Nous êtres humains nous allons tous disparaître, mais c’est le système qui restera, c’est le pays qui va rester. D’où le CNT a pour mission de réécrire le texte, c’est-à-dire la Constitution. Une nouvelle Constitution, ça ne se sera plus une Constitution copiée-collée du pays. Nous allons mettre à plat tous nos problèmes et réécrire une Constitution adaptée aux problèmes de la Guinée pour trouver toutes les solutions nécessaires pour l’émergence de notre pays.

Mais comment vous mettez en place le Conseil national de la transition ? Par des votes, par quoi ? Qui est choisi et sur quels critères ?

Vous savez, il y a un ministre de l’Administration du territoire. Depuis lors nous avons fait des communiqués, à savoir sur le dépôt de tout ce qui est candidatures. Nous avons donné des places à toutes les composantes de la vie guinéenne. Ils vont tous être pris pour leur probité morale et pour leurs compétences, parce que le CNT ne sera pas un regroupement pour qu’on puisse venir discuter sans avancer. Nous allons envoyer des gens au CNT qui aiment encore ce pays et qui veulent aller en avant, qui veulent bien sûr rassembler les Guinéens. Je tiens beaucoup au mot rassemblement, parce que j’ai décidé aussi et il faut que ça soit clair que les Guinéens eux-mêmes puissent prendre en main leur destin, à savoir : s’entendre, s’écouter, parce qu’on ne s’écoutait plus dans ce pays.

On était très divisés…

Très divisés, et je pense que le rassemblement est le seul moyen, pour nous Guinéens, de faire face à notre destin.

La semaine dernière, la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a pris des sanctions vis-à-vis d’abord des membres de la junte, mais en plus a nommé quelqu’un pour venir ici vous aider à faire cette transition-là, Mohamed Ibn Chambas. Vous avez écrit pour dire que nous ne voulons pas de cette personne, nous ne pensons pas que c’est nécessaire. Qu’est-ce que vous avez contre Mohamed Ibn Chambas, le Ghanéen qui a été choisi ?

Non, la personne de Mohamed Ibn Chambas pour nous, c’est autre chose. C’est-à-dire que le peuple de Guinée, le gouvernement guinéen a tous les droits sur le plan diplomatique de récuser quelqu’un. Et je pense que la Guinée n’est pas en crise. Nous avons mis fin à la crise sociopolitique de la République de Guinée depuis le 5 septembre. Les Guinéens sont en communion aujourd’hui. Ils pensent à l’avenir de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Et il faut qu’on adapte les outils africains aux problèmes africains. Pour ce faire, je pense…

C’est un Africain Mohamed Ibn Chambas…

L’Afrique est un continent. Ce n’est pas un pays. Tous les pays africains ont des problèmes spécifiques. Le cas guinéen est très simple. Nous avons eu des aînés qui ont eu des problèmes de personnes, à savoir la gestion de la chose publique qui avait divisé le pays. Aujourd’hui, le peuple guinéen n’est pas divisé, le peuple guinéen est en communion avec lui-même et je pense que nous n’avons pas besoin de donner des remèdes qui sont pour nous des remèdes génériques. Je pense qu’il faut vraiment adapter chaque chose. Aujourd’hui, on n’est pas en conflit. Il n’y a pas de crise en Guinée. Nous n’avons pas besoin d’émissaire. Nous avons juste besoin de moyens techniques, de l’accompagnement technique. La Cédéao a des représentations ici. Toutes les organisations ont une représentation en Guinée. Donc, ces hommes après vont nous servir de cordon ombilical avec la Cédéao, avec l’OIF, avec toutes les organisations…

Pour vous, ce n’est pas nécessaire qu’il y ait quelqu’un qui soit choisi pour mener cela ?

Les Guinéens sont assez matures pour régler leurs problèmes. Donc, les remèdes étrangers nous ne sommes pas contre, mais…

Vous ne voulez pas de médicaments qui arrivent d’ailleurs. Monsieur le président, à quand des élections libres et transparentes dans ce pays ? Est-ce que vous avez un délai ? Serez-vous candidat ?

Je pense que j’ai été clair, et je vais l’être aujourd’hui encore avec vous : ni moi ni aucun membre de cette transition ne sera candidat à quoi que ce soit. Nous allons mener la transition à bon port avec tous les Guinéens. Nous allons partir de la base au sommet par les communales, après les législatives, la présidentielle pour permettre au président qui viendra après ne soit pas là à vouloir s’éterniser, car le peuple n’acceptera plus jamais qu’on personnalise la chose publique. Donc, pour moi, la durée de la transition doit être définie. Le chronogramme de la transition doit l’être aussi par l’organe législatif…

Vous avez dit par le CNT. On comprend que ce soit le  CNT qui décide de la durée de la transition. Là, vous promettez que vous ne serez pas candidat. Mais dans ce pays, on se souvient il n’y a pas longtemps qu’il y a eu un autre officier, il n’était pas colonel, il était capitaine, et qui a pris le pouvoir et qui avait promis de s’en aller, Moussa Daddis Camara. Et cela s’est mal terminé. Cela s’est terminé par des coups de feu. Quelle est la garantie que nous avons que le colonel Mamadi Doumbouya va s’en aller. On peut croire en vous ?

En tant que soldat, nous tenons beaucoup à la parole donnée. Et en même temps, nous avons fait un état des lieux de toutes les expériences qui n’ont pas marché dans notre pays. Et nous ne voulons vraiment pas faire les erreurs du passé. C’est pourquoi nous sommes déterminés là-dessus à ce que les choses soient inclusives, le calendrier, le chronogramme, le délai de la transition. Je ne peux pas vouloir dire au peuple de Guinée que je lui donne sa liberté par la voix de tout ce qui est organe législatif et en même temps imposer un délai au peuple de Guinée. Si vous avez un remède de deux semaines pour régler les problèmes guinéens, je pense que ce sera la meilleure chose pour nous, parce que quand on voit l’état de nos populations, quand on voit l’état de nos routes, l’état de nos hôpitaux, je pense qu’après 63 ans, nous avons besoin d’un bon coup de réveil pour prendre en main notre destin et de laisser les choses correctement.

Vous voulez mettre les choses sur les rails…

Nous avons besoin que la justice fasse son travail, que le CNT fasse le travail législatif, que nous en tant que membre du Conseil du comité national pour le rassemblement, nous fassions notre travail d’encadrement de la transition dans l’apaisement total. On est assez intelligents pour se regarder en face et regarder notre histoire, et de se dire aujourd’hui que plus personne en Guinée n’acceptera la domination de l’autre.

Il vous aura fallu, monsieur le président, deux mois pour composer un gouvernement. Deux mois. Un gouvernement composé de 27 ministres, dont 7 femmes, avec seulement 2 militaires à la retraite qui occupent les portefeuilles de la Défense et de la Sécurité. Qu’est-ce qui a rendu la formation du gouvernement si difficile ? En quoi vous avez eu autant de mal à faire le gouvernement ?

Si vous voulez faire les choses correctement, je pense qu’il faut réfléchir. Il faut chercher la probité morale. Il faut vérifier aussi la capacité des uns et des autres à apporter. Quand nous avons pu former le gouvernement, nous avons demandé – parce que des fois, on vous demande de quelle école vous venez, ou qui vous envoie- Nous avons demandé à tous les candidats : qu’est-ce que vous pouvez apporter dans la République de Guinée pour permettre à la Guinée de sortir de cette ornière-là ? Donc, sur la base de cela, nous avons sélectionné parmi toutes les filles et fils de la Guinée des personnes en qui nous avons confiance, que nous pensons être à la hauteur des attentes de la population guinéenne pour conduire cette transition dans l’inclusivité totale.

En gros, ils sont tous venus passer des auditions chez vous ?

Dès qu’on a eu le Premier ministre qui est passé par ce point, le Premier ministre et moi-même, avec tout ce qui était l’entourage, nous avons fait -je pense- plus qu’un casting, parce que c’était compliqué de trouver les bonnes personnes qui ne trainent pas de casseroles, trouver des gens qui ont la probité morale vraiment claire. Donc, ce n’était pas facile de trouver.

Aucun d’eux n’a d’expérience dans la gestion du pays. Est-ce que vous n’avez pas peur qu’ils manquent d’expérience et que cela vous fasse perdre du temps ?

Il faut savoir que les ministres sont accompagnés. Il y a les départements où il y a plusieurs personnes autour d’un ministre. Nous avons choisi, et c’est une première dans l’histoire, qu’il y ait des technocrates à la tête de notre pays dans un régime qui est soi-disant militaire. Nous avons dit aux militaires de jouer leur rôle de soldats dans les camps pour défendre notre pays, parce que nous avons besoin de ça, de ne pas se mêler de la politique. Et aujourd’hui, ces technocrates, nous avons totalement confiance en eux. Et j’ai aussi entièrement confiance dans le Premier ministre, monsieur Mohamed Béavogui, que nous avons choisi parce qu’il a le sens du consensus.

C’est l’élément qui a été déterminant : le sens du consensus ?

C’est important. Parce que je pense que cette transition, nous n’allons pas accepter qu’il y ait des projets personnels. Nous avons voulu qu’il y ait du consensus, qu’on se comprenne, encore une fois. Parce que, à chaque fois qu’on ne s’est pas compris, ça nous a amené à quoi ? Ça nous a amené au sang, ça nous a amené aux larmes, et aux victimes qui sont toutes des enfants de ce pays et qui pouvaient aussi être des ministres, mais qui ont été fauchées dans leur vie. Donc, je pense que le Premier ministre Mohamed Béavogui, qui est quelqu’un qui a une grande expérience à l’international, et qui est un homme de consensus peut aider le gouvernement guinéen aujourd’hui à sortir de cette ornière-là.

On a vu les populations guinéennes dans les rues lorsque vous avez pris le pouvoir, des gens qui se réjouissaient. Vous bénéficiez d’un état de grâce aujourd’hui qui est exceptionnel. Il y a beaucoup d’attentes. Qu’est-ce que vous allez donner, quelle est la prochaine étape ?

Ma vie entière je la donnerai à ce peuple-là, qui mérite ça. Et si on a décidé le 5 septembre d’aller à la mort, c’est parce qu’on avait vu l’état de notre pays. Et nous avons pensé tous ensemble qu’il fallait sauver le pays en donnant notre vie. Et je pense que c’est notre devoir en tant que soldat, en tant que patriote, de se battre et d’aller à la mort encore une fois que ça soit sur le plan politique ou physique pour sauver le pays, pour sauver la patrie, et pour sauver les Guinéens en leur donnant l’espoir bien sûr et en changeant leurs conditions de vie parce que, après 63 ans, après tout ce qu’on a en Guinée comme économie, comme mines, comme tout ce qui va avec…

Comme richesses…

Comme richesses si j’ose dire, je pense que ce peuple mérite mieux que l’état dans lequel nos aînés l’avaient mis.

Vous avez dit, aujourd’hui « la justice sera ma boussole ». Est-ce qu’on peut vous croire là-dessus, est-ce que la justice sera vraiment libre, monsieur le président ?

Vous savez, c’était mon credo. Je tiens beaucoup à la parole donnée. Pour moi, la justice… il n’y a pas de développement sans justice. Si vous voulez développer votre pays, il faut qu’il y ait la justice, il faut que la justice puisse jouer son rôle fondamental qui est, pour nous, l’impartialité dans tout ce qu’on fait.

Monsieur le président, aujourd’hui, est-ce qu’on peut gouverner un État comme celui-là en ayant cette sanction de la Cédéao : vous ne pouvez pas voyager, gel des avoirs, etc., ce sont les décisions de la Cédéao. Est-ce que ce n’est pas un réel handicap ?

Nous avons bien sûr besoin de nos partenaires, mais ce qui est pour nous non négociable, c’est la souveraineté nationale, parce que nous tenons à la liberté. Et la Cédéao, je pense, doit penser au mal qui gangrène nos pays. Et je pense que la Cédéao doit penser aux peuples africains de l’Ouest, parce que les peuples aussi ont besoin de la protection des institutions qui en leur nom sont censées aider nos pays et nos populations à sortir de l’injustice.

Mais est-ce qu’on peut gouverner sans sortir du pays ? Vous ne pouvez pas voyager, on a gelé vos avoirs ?

J’ai fait don de moi, cela fait des années que je n’ai pas pu sortir de la Guinée. Je suis en Guinée, je me sens mieux en Guinée que n’importe où. Je n’ai pas besoin de voyager. Ce dont j’ai juste besoin maintenant, c’est de me concentrer en Guinée sur nos problèmes, pouvoir trouver des solutions à nos problèmes. Et en ce qui concerne les avoirs, nous les membres du CNRD, nous n’avons rien à gérer. Donc, ça pour moi, ce sont juste des principes. Mais à savoir s’il y avait quelque chose à gérer, vous pouvez chercher. Vous ne trouverez pas. Maintenant, nous faisons tout quand même pour arrêter l’hémorragie dans notre pays. Et depuis notre arrivée, nous avons essayé de fermer tous les robinets, parce que, pour moi, les deniers publics ne sont pas quelque chose avec quoi on peut jouer. Le voyage, je pense que nous avons besoin de voyager bien sûr en Guinée pour voir nos problèmes en face et trouver les solutions à nos problèmes.

Avec RFI