Suite à l’annonce officielle du gouvernement guinéen de racheter les actions de la société de téléphonie MTN, de nombreux guinéens s’interrogent sur les contours de cette acquisition par l’Etat guinéen. Dans une analyse pointue, le consultant Lancine Doumbouya a développé l’importance de ce rachat tout en suggérant aux membres du gouvernement de mieux élucider l’opinion.

I. Contexte et justification

MTN est l’un des principaux opérateurs de télécommunications en Guinée et fait partie du groupe sud-africain MTN Group, actif dans plusieurs pays africains. Depuis des années, cette entreprise occupe une position dominante sur le marché guinéen des télécommunications, un secteur stratégique pour le développement économique et technologique du pays.

La décision de nationalisation semble motivée par plusieurs facteurs. En premier lieu, le gouvernement a manifesté une volonté accrue de renforcer la souveraineté économique et de s’assurer que les ressources générées par des secteurs clés profitent pleinement à l’économie locale. En second lieu, cette initiative pourrait être perçue comme une réponse à des critiques émanant de la société civile, accusant certaines multinationales de ne pas contribuer suffisamment au développement économique du pays. Enfin, elle pourrait également refléter un désir de rééquilibrer les rapports de force entre les opérateurs privés et l’État, en assurant une répartition plus équitable des bénéfices issus de l’exploitation du marché des télécommunications.

II. Modalités de mise en œuvre

Les détails précis de cette opération de nationalisation demeurent flous, notamment en ce qui concerne les modalités de compensation des actionnaires. Dans le cadre d’une nationalisation, l’État est généralement tenu d’offrir une compensation juste et équitable, conformément aux normes internationales. Cependant, l’absence de transparence sur ces aspects suscite des interrogations parmi les observateurs et les investisseurs.

La manière dont cette décision a été communiquée est également sujette à discussion. Une annonce soudaine, sans consultation préalable des parties prenantes, peut engendrer un climat de méfiance. De plus, des interrogations subsistent quant à la capacité de l’État guinéen à mobiliser les ressources financières nécessaires pour indemniser les actionnaires et investir dans l’amélioration des infrastructures et services de télécommunications.

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III. Une tendance continentale

La décision de la Guinée s’inscrit dans une tendance plus large observée dans plusieurs pays africains, où les gouvernements cherchent à accroître leur participation dans des secteurs stratégiques tels que les mines, les hydrocarbures et les télécommunications. L’objectif est de maximiser les retombées économiques pour les populations locales tout en réduisant la dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers.

Cependant, ces initiatives ne sont pas sans risques. Elles peuvent créer des tensions avec les investisseurs étrangers et les pays d’origine des entreprises concernées. De plus, elles risquent d’entraîner une perception d’instabilité dans le climat des affaires, dissuadant ainsi de futurs investissements. Les précédents observés dans d’autres pays africains montrent que la réussite de telles mesures dépend fortement de la qualité de la gouvernance et de la capacité des États à éviter les écueils liés à la mauvaise gestion.

IV. Implications économiques et diplomatiques

La nationalisation d’entreprises privées, bien qu’elle permette à l’État d’augmenter son contrôle sur les secteurs stratégiques, soulève des enjeux complexes. Sur le plan économique, elle peut renforcer les recettes publiques à court terme, mais pose la question de la capacité de l’État à gérer efficacement ces entreprises. Une gestion inefficace pourrait non seulement entraîner une baisse de la qualité des services offerts, mais également alourdir le fardeau financier de l’État.

Sur le plan diplomatique, elle peut engendrer des tensions avec les gouvernements et les institutions financières internationales, susceptibles de voir cette décision comme une remise en cause des principes de libre marché. Ces institutions, souvent impliquées dans le financement de projets de développement, pourraient revoir leurs engagements si elles perçoivent la Guinée comme un environnement moins favorable aux investissements.

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V. Perspectives

Pour que cette mesure soit couronnée de succès, il est impératif que l’État guinéen adopte une gestion transparente et efficace des actions récupérées. Une stratégie claire visant à réinvestir les bénéfices dans des projets de développement et à élargir l’accès aux services de télécommunications pour les populations rurales pourrait contribuer à renforcer le soutien national à cette décision.

De plus, l’État devra s’efforcer de rétablir la confiance des investisseurs en mettant en place un cadre réglementaire stable et en garantissant le respect des droits des actionnaires. La collaboration avec des partenaires techniques et financiers expérimentés pourrait également aider à améliorer les performances de l’entreprise sous gestion publique.

Enfin, il serait judicieux de lancer une campagne de communication pour expliquer les raisons de cette nationalisation et rassurer les différents acteurs concernés, qu’il s’agisse des citoyens, des investisseurs ou des partenaires internationaux. Une telle démarche contribuerait à limiter les effets négatifs de cette mesure sur l’image du pays.

Conclusion

La nationalisation des actions de MTN par l’État guinéen représente un tournant économique et politique majeur. Bien que cette mesure puisse potentiellement renforcer la souveraineté économique du pays, elle soulève également des questions sur son impact à long terme sur l’économie et les relations internationales. La manière dont l’État gèrera cette transition sera cruciale pour déterminer si cette initiative deviendra un modèle de succès ou un précédent controversé.

En fin de compte, ce choix audacieux reflète une volonté de l’État guinéen de prendre en main son destin économique. Cependant, il s’agit d’un pari risqué, dont les conséquences dépendront largement de la capacité des autorités à concilier ambition nationale et exigences de la gestion moderne.

Lancine Doumbouya

Consultant – Auteur

Fondateur – Associé-Gérant de BALIMANA CONSULTING & INVESTMENT SARL

+212623569895

lancinebalimanadoumbouya.lbd@gmail.com

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