J’ai participé le 25 mai dernier en qualité de panéliste à une conférence en ligne organisée depuis Paris par AFRICAFORA. Il s’agissait de débattre des solutions d’inspiration africaine sur le devenir du continent.

J’ai planché sur le thème « le financement des économies européennes en période de COVID 19 ; quelles leçons pour l’Afrique ».

Ma thèse était que si l’Europe a été capable de mettre en sourdine toutes les règles sacrosaintes de gestion macroéconomique pour un bouleversement passager, pourquoi L’Afrique qui souffre de carences économiques structurelles ne devrait pas remodeler ces règles à sa manière pour susciter des investissements massifs pour se relever.

Je vous propose ci-après, l’intégralité de ma présentation. L’objectif est de nourrir la réflexion, nous poser les bonnes questions pour trouver les bonnes réponses.

En 2020, avec l’apparition de la COVID 19, la récession s’installe dans la zone Euro. Le produit intérieur brut (PIB) recule de 7,8%. La France, l’Italie, l’Allemagne, les locomotives sont touchées de plein fouet. On craint les faillites d’entreprises et la hausse des licenciements.

Pour juguler cette crise économique sans précèdent, l’Europe sort les grands moyens. L’ensemble des plans de relance coûte plus de 3 000 milliards de dollar. Ces plans sont financés par l’endettement massif facilité par la politique monétaire expansive de la Banque centrale européenne (BCE), avec des taux d’intérêt très bas. Les taux d’intérêt des opérations principales de refinancement ainsi que ceux de la facilité de prêt marginal et de la facilité de dépôt tournent respectivement autour de 0,00 %, 0,25 % et -0,50 %.

En conséquence, le déficit public atteint le niveau record de 10,1% du PIB en fin 2020 et la dette publique le seuil des 100% du PIB, pour se situer à 101,1%.

Ainsi pour répondre à cette situation économique inédite, l’Europe a dû assouplir les règles budgétaires appliquées jusque-là comme les normes de bonne gestion, notamment celles concernant la limite de 3% de déficit public sur PIB et celle de 60% dette publique sur PIB. La politique monétaire a pris aussi des contours non orthodoxes.

Ces politiques ont cependant permis la relance de l’économie européenne avec la sortie progressive des restrictions imposées en vue de lutter contre la COVID 19. Après le bond de 5,4% en 2021 dû à l’effet de rattrapage, la croissance économique a repris son cours normal à 2,7% en 2022 même si les prévisions de 2023 tablent sur un ralentissement à 1,5% à cause de la crise ukrainienne.

Il est donc établi que pour se sortir de la catastrophe économique, l’Europe a dû creuser son déficit public et accroitre la masse monétaire. Les règles préétablies de gestion des finances publiques admises comme les normes mondiales ont été mises sur pause.

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Dès lors que cette stratégie a produit des bons résultats pour l’Europe, on peut légitimement se demander si cela ne peut s’appliquer ailleurs, en particulier en Afrique.

En effet, la situation économique et sociale jugée cataclysmique en Europe et qui a conduit à revisiter les dogmes de gestion des finances publiques est la norme en Afrique.

Compte tenu des performances économiques et sociales observées en Afrique au cours des 60 dernières années, un regard nouveau doit être porté sur la portée des politiques publiques.

La comparaison de quelques indicateurs de performance économique et sociale en Afrique au sud du Sahara et des pays de la zone l’EURO renseigne sur la profondeur du gouffre dans lequel baigne l’Afrique.

  1. PIB par habitant :

Le PIB moyen par habitant de 1960 en 2021 pour l’Afrique est 1 380 Dollar. Celui de l’Europe est de 27108 dollar, soit 20 fois celui de l’Afrique.

  1. Nombre de machines agricoles sur 100 km2 de terre arable :

Le nombre de machines agricoles sur 100 km2 de terres arables est de 21 machines en Afrique. En Europe c’est 802 machines. On utilise 38 fois plus de machines pour 100 km2 de terres arables en Europe qu’en Afrique.

  1. Emplois vulnérables, total (% des emplois) :

En Afrique 77% des emplois sont des emplois vulnérables contre 12% seulement en Europe, soit 7 fois plus d’emplois vulnérables en Afrique.

  1. Accès à l’électricité (% de la population) :

L’accès des populations à l’électricité est de 34% en Afrique contre 100% en Europe.

  1. Taux de mortalité infantile, moins de 5 ans (pour 1 000) :

Le taux moyen de mortalité est de 125 enfants contre seulement 5 en Europe, soit 23 fois plus de décès infantile en Afrique.

  1. Espérance de vie à la naissance, total (années) :

L’espérance de vie moyenne à la naissance est de 55 ans en Afrique contre 76 en Europe, soit 26 ans de vie supplémentaire en Europe.

  1. Lits d’hôpital (pour 1 000 personnes) :

Le nombre de lits d’hôpital est de 1 en Afrique pour 1000 personnes contre 7 pour l’Europe, soit 7 fois plus de lits d’hôpital en Europe.

Ce mix d’indicateurs économiques et sociaux répertoriés sur une période longue de 60 ans montre la permanence d’un environnement socio-économique déprimant en Afrique.

Si la COVID 19 a été un instant de malheur pour l’Europe, en Afrique, ce malheur est permanent. Il convient par conséquent d’ajuster les politiques publiques de manière générale pour juguler cet environnement.

Au regard de cette situation, les pays africains se doivent de se donner comme objectif un taux de croissance économique minimum de 10% l’an sur les 10 années à venir. Ceci nécessiterait une enveloppe globale d’investissement d’au moins 1100 milliards de dollar par an, pour les 48 pays de l’Afrique subsaharienne, soit en moyenne 23 milliards de dollar par an.

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Un pays comme la Côte d’Ivoire qui se propose d’atteindre un taux de croissance moyen de 7 à 8 % sur les 5 prochaines année en investissant autour de 19 milliards de dollar par an est proche de cette moyenne africaine. Il lui faudra cependant tirer un peu plus pour atteindre l’objectif désiré.

Ces sommes peuvent être levées avec des politiques fiscales, monétaires, d’attraction du capital étranger, audacieuses.

De la même manière que l’Europe a accru significativement sa masse monétaire pour se sortir du piège de la COVID 19, nous pensons que les africains devraient faire de même. La question de l’inflation ne se pose pas ou se pose différemment selon qu’on soit en Afrique ou en Europe. En effet, en Afrique, contrairement à l’Europe et de manière générale aux pays de plein emploi, l’inflation est nourrie par le manque de ressources financières.

L’inflation est tirée en Afrique principalement par le recours massif aux importations et de l’étroitesse de la production nationale.

Les importations transfèrent l’effet prix et l’effet taux de change en Afrique. Si les pays adeptes du régime de change fixe ne subissent que l’effet prix, c’est la double peine pour les pays à régime de change flexible.

L’offre nationale, en particulier des produits alimentaires est très faible, ce qui concoure au renchérissement des prix.

Des politiques monétaires et fiscales expansives dont les fruits seraient orientés judicieusement vers les industries de substitution des importations et la hausse de la production vivrière nationale contribueraient plutôt à réduire l’inflation. Dans ce contexte, une révision des taux d’intérêt directeurs des banques centrales à des niveaux proches de 1 à 2% serait judicieux. Les Etats et entreprises éligibles pourraient alors émettre des instruments de dette à des taux moins élevés que les taux actuels qui tournent autour de 6% pour les pays de l’UEMOA.

Les autres investissements structurants devraient faire l’objet de partenariat public privé (PPP) en vue de capter une bonne partie de l’offre mondiale de capital privé d’environ 2000 milliards de dollar en quête d’opportunité d’investissement. Des hôpitaux, des écoles et universités, des lieux de loisirs, etc. pourraient alors faire l’objet de PPP comme le sont bien souvent les infrastructures routières et aéroportuaires.

Pour réussir ce plan, il faudra laisser les tabous au vestiaire.

Guillaume LIBY

Banquier/Économiste

Ancien Directeur Général de Banque

Ancien Directeur de Fonds d’investissement.

Master of Arts en Économie de l’Université de L’Etat de New York, USA

Ancien boursier USAID.

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