Pays déclaré laïc dans sa Constitution, la Guinée est à majorité musulmane (85%) d’où la prédominance des pratiques reconnues par cette religion comme la polygamie. Cette pratique a toujours existé en Guinée. Sous la révolution, la polygamie est interdite par le code civil jusqu’au décès de feu Ahmed Sékou Touré. Au lendemain de ce régime, cette prescription n’est plus respectée ; Et depuis, des milliers de mariages ont été célébré en seconde noce par des à l’état civil en contradiction avec la loi.
L’article 315 du premier code civil de la République de Guinée stipule ceci : ‘’ La pratique de la polygamie est interdite à toute personne de nationalité guinéenne et demeure proscrite sur toute l’étendue du territoire de la République’’. Et dans l’article suivant, la loi reconnait les mariages célébrés et consommés sous l’empire de la coutume de la polygamie avant le 31 janvier 1968, restent en vigueur et produisent tous leurs effets entre les époux.
Jusqu’à ce jour, aucune disposition contraire n’a été promulguée. Une réalité culturelle ou traditionnelle ? Pour l’heure la pratique est contradiction avec la réalité
Et les adeptes de la polygamie ne manquent pas d’arguments. Respect des préceptes islamiques, considération égoïste, équilibrisme pour l’homme, désir d’enfants, phénomène social : chacun y va de son analyse.
Mamoudou Traoré est polygame. Il est marié à trois femmes. Pour lui, tout homme musulman doit se marier à quatre (4) femmes. Selon lui, il est facile de vivre un ménage polygame, car : « la polygamie t’empêche de faire l’adultère», a-t-il entamé, avant d’expliquer pourquoi il a choisi cette situation matrimoniale. «La polygamie fait partie des principes de l’islam. Un vrai musulman ne doit pas se limiter à une seule femme. Avoir plusieurs femmes prouve que tu ne fais pas l’adultère. C’est vrai que chaque homme polygame a ses raisons, mais moi, la première raison c’est pour ma famille. La première femme que j’ai épousée n’était pas du tout le choix de mes parents surtout ma maman. Mais à l’époque, comme je n’avais pas assez de moyen, et entre elle et moi il y avait de l’amour je l’ai prise par amour. Et ma deuxième est un choix de ma mère qui a dit coûte que coûte qu’il faut que j’épouse une femme de son choix. Et la troisième, comme on le dit en bon malinké, c’est pour compléter le caillou du foyer. Mais, je les aime toutes à ma façon».
Pour Mme Bayo qui ne partage pas le même foyer que sa coépouse, il est très difficile de vivre un ménage polygame. «Imagine, tu n’as jamais ton mari à tes côtés au moment où tu as besoin de lui. Mon mari a deux femmes, je suis la première, mais franchement, je vis dans ce foyer aujourd’hui à cause de mes enfants. Pourquoi ? Parce qu’au début, j’étais tellement d’accord avec mon mari qu’on se partageait tout. Je dis bien tout ! On sortait et rentrait ensemble. On avait le même compte bancaire. Mais depuis qu’il s’est mis dans l’affaire de deuxième femme, tout a basculé. La confiance n’est plus là. La seule chose qui me rassure c’est que je vis dans la maison qu’il a construite ; et la deuxième femme, en attendant vis en location. Il a créé toutes les conditions pour ne pas qu’on se voit. Le seul endroit où elle et moi on se rencontre c’est quand il y a par exemple un décès dans la famille de mon mari»
Si Mme Bayo, elle, ne partage rien avec sa coépouse, c’est tout le contraire chez Mme Camara Fatoumata. Elle se sent très à l’aise avec sa coépouse qui est la deuxième femme de son mari. «On vit sous le même toit. Tous les enfants m’appellent maman, et elle, on l’appelle Hadja comme tout le monde. On est du même village, mon mari, elle et moi. Sa première fille porte mon nom. Son mariage a été un consentement entre mon mari et moi. Après mon mariage, j’ai fait plus de 7 ans sans concevoir. C’est ainsi que j’ai décidé qu’il épouse une deuxième femme pour qu’au moins, cette dernière puisse lui donner ce que moi je n’ai pas pu lui donner : Un enfant. Et elle a fait une fille qui porte mon nom. Et, après avoir fait cette fille, moi aussi Dieu m’a fait un cadeau en tombant en grossesse, et j’ai eu le premier héritier. Donc, pour moi vivre un ménage polygame ce n’est pas compliqué il faut avoir la foi et être croyant puisqu’on vit notre destin».
Pour ce citoyen qui requiert l’anonymat, la polygamie n’est pas interdite mais il faut avoir suffisamment de moyens pour la pratiquer. Sinon, on risque de mourir de péché. « Si tu réunis les femmes, il faut que tu les traite sur un pied d’égalité. Mais en Guinée, on ne fait que dire que la polygamie n’est pas interdite par l’islam sans prendre en compte le côté négative qui est le ‘’péché’’», a déploré Youssouf Diallo.
Quant à Mariam Bangoura, elle estime que la polygamie n’a rien de positif au regard de son expérience. « Mon père est polygamie. Dans ma famille, c’est la précarité assurée. Mon père n’a pas les moyens de subvenir au besoin de ses deux épouses et des enfants. Nous ne sommes pas heureux même si ma mère et sa coépouse s’entendent. Mais, c’est un environnement de méfiance éternelle ».
Ousmane Barry, informaticien, accuse l’Etat Guinéen. « Nous avons voulu tout faire comme les français. Si la Guinée ne légalise pas la polygamie, elle fait un tort à des milliers de femmes victimes du laxisme de l’Etat parce que les agents de l’état civil relève de l’Etat. Nous ne devons pas obéir à tous les dicta de l’occident. Chez eux il y a le mariage pour tous, un mariage entre des personnes de même sexe. Je n’insulterai jamais un homosexuel, mais en tant que musulman et guinéen, j’ai le droit de choisir entre la polygamie et la monogamie. C’est un choix. Et cela existe depuis la nuit des temps»
Selon Me Kamano, le code civil « est une loi désuète», puisqu’elle n’est pas appliquée. Un projet de code civil est sur la table de l’Assemblée Nationale Guinéenne. Cette dernière n’interdit pas non plus la polygamie.
Aujourd’hui, une vrai lutte est engagée entre les lobbyings pro et contre la polygamie pour aboutir à la promulgation du projet de code civil de mai 2016 qui lui aussi interdit la polygamie.
Nantènin Traore