J’étais élève au lycée de Kipé au moment des événements, acteur de la société civile et membre de la jeunesse des forces vives de la nation.
Ce jour-là, le 28 septembre 2009, je suis arrivé au stade aux environs de 11h30 avec un groupe de jeunes dans une ambiance bon enfant.
Le portail d’entrée du stade étant déjà ouvert, j’ai réussi à entrer sans difficulté pour rejoindre les manifestants sur la pelouse. Dans une atmosphère chaleureuse et émotionnelle, les manifestants entonnaient l’hymne national et des chansons improvisées, hostiles à la junte, dans les langues nationales, principalement soussou et pulaar.
D’autres manifestants présents sur la pelouse étaient en train d’effectuer des prières musulmanes.
Entre temps, j’ai aperçu quelques leaders des partis politiques notamment Cellou Dalein, Sidya Touré et Mouctar Diallo à la tribune de la loge officielle. J’ai pris la décision d’aller les rejoindre.
C’est lorsque j’ai bougé pour les rejoindre que les tirs ont commencé à retentir dans l’extérieur du stade, c’est-à-dire dans la grande cour. Dans la panique et une débandade du sauve qui peut, j’ai gardé mon calme et fixé mon regard en direction du portail d’entrée de la pelouse pour savoir si ceux qui tirent viennent ou non de ce côté. Soudain j’ai vu un groupe de manifestants qui tentaient de sortir par le portail du stade rebrousser chemin en direction de la pelouse où j’étais avec des cris en soussou « Sorê Fâfê » « les soldats arrivent ».
C’est ainsi que j’ai couru vers la tribune, communément appelée Sahara en raison du fait que cette partie est exposée au soleil, pour sortir du stade. J’ai réussi avec beaucoup de difficultés à sortir du stade pour me retrouver dans la cour sous le crépitement des balles. Ainsi, j’ai rejoint un premier groupe de manifestants qui cherchaient à grimper le mur du stade du côté de l’autoroute pour se sauver.
J’ai mesuré la longueur du mur et la difficulté des manifestants à le grimper rapidement ainsi que les risques de cette opération, j’ai renoncé à l’exercice.
C’est ainsi que j’ai rejoint un second groupe de manifestants, plus important que le premier, qui se dirigeait vers le stade annexe qui était encerclé par des barrières en feuilles de tôle (certainement ce mini stade était en chantier).
Nous avons foncé sur les barrières en mettant les feuilles de tôle à terre ; personnellement je ne savais pas qu’il y avait ce stade annexe, je pensais qu’une fois cette barrière franchie on allait sortir définitivement du stade. C’est pourquoi quand on s’est retrouvés au stade annexe, j’ai compris qu’on était toujours à l’intérieur de la cour du stade, j’étais très déçu mais pas découragé.
Nous sommes ressortis de l’annexe pour tenter cette fois-ci d’aller vers le portail de sortie principale menant à la terrasse ; nous avons été stoppés par les tirs. En rebroussant chemin, j’ai entendu les cris d’un jeune homme derrière moi.
Lorsque je me suis retourné, il m’a demandé de l’aide : il avait pris une balle dans la cuisse. Quand j’ai fait deux pas vers lui, j’ai vu pour la première fois un agent habillé en tenu militaire avec un béret vert sur la tête, tirer horizontalement en se dirigeant vers nous, je me suis enfui en catastrophe pour rejoindre le grand groupe. Impuissant, je n’ai pas pu porter secours à ce jeune homme qui en avait tant besoin. Cette situation m’a hanté pendant longtemps et je me suis toujours demandé s’il a été achevé ou s’il a réussi à sauver et survivre.
Nous avons continué à tourner jusqu’au niveau d’un arbre au mur du stade contiguë aux restaurants de la terrasse. C’est là que nous sommes restés immobiles mains en l’air avec l’espoir de l’instinct de survie. Soudain, nous avons été aspergés de gaz lacrymogènes par des agents postés dehors, que la hauteur du mur ne permettait pas de d’identifier.
Cette situation a rendu l’air irrespirable mais la réaction d’un homme devant moi m’a donné à sourire et à me libérer de la peur comme par magie. Pendant qu’on souffrait des gaz lacrymogènes, cet homme a dit à voix haute qu’il a besoin de boire du lait. Cette réaction m’a fait sourire et à lieu le don de me faire oublier un instant l’épreuve à laquelle je fais face.
On a quitté cet endroit pour aller au milieu de la cour mains en l’air. En ce moment, le crépitement des armes avait cessé. On est restés immobiles, des filles et femmes parmi le groupe étaient en train de pleurer, des adultes et des jeunes disaient Allah Akbar.
C’est à cet instant que j’ai vu les bérets rouges quittant pour certains le stade de foot, pour d’autre de basket. Ils ont traversé la cour pour aller vers la sortie menant à la terrasse.
Quelque temps après, j’ai vu deux femmes nues sortir du stade de basket entrain de pleurer et marchant difficilement, certainement violées. À terre, j’ai aperçu plusieurs cadavres dans la cour au moins 15: c’est là que j’ai réalisé la gravité de la situation. Le groupe a bougé en direction de la sortie pendant que mes yeux tournaient dans la cour pour constater les dégâts.
Quand on est arrivés à la sortie menant sur la route de la pharmacie centrale, il y avait un groupe mixte de gendarmes et de policiers à nouveau, ils détenaient pour certains des bois et pour d’autres des couteaux et armes de guerre. Ils frappaient le groupe par les bois et effraient avec les couteaux et armes pour retirer les téléphones des gens. J’ai réussi à sortir avec mon téléphone et sans être frappé par ce que je me suis introduit au milieu du groupe d’au moins mille personnes.
Nous avons donc été les derniers manifestants à sortir du stade; moi Sain et sauf par la grâce de Dieu ( je suis croyant).
Pour aider à la manifestation de la vérité sur le massacre du 28 septembre 2009 et à éclairer le tribunal, le témoignage de la Croix-Rouge est fondamental, sinon indispensable au procès.
Durant toute la durée des événements, les agents de la Croix-Rouge, que j’ai identifiés par leur tenue et véhicule, étaient à l’entrée du stade et à l’intérieur pour secourir les blessés. Ils sont en mesure de faire le récit détaillé et précis de l’événement, d’indiquer les corps au sein des forces de défense et de sécurité qui étaient présents et aussi de donner le moment du début des tirs et ceux qui en sont à l’origine.
Une fois sortie du stade, j’ai pris la direction de la maison en passant par les quartiers car c’était risqué d’emprunter les voies normales pour éviter de croiser des agents des forces de défense et de sécurité.
Arrivé à Bembeto magasin très fatigué, faim et soif, j’ai traversé la route le prince pour trouver refuge chez un camarade du lycée qui habite à cet endroit . Il a fallu trois (3) jours après pour que je parvienne à rentrer chez moi à Kaporo-rail demoudoula.
Paix à l’âme des victimes. Une pensée positive renouvelée à l’endroit des blessés et des victimes de violences.
Ibrahima Diallo
Coordinateur de Tournons la Page Guinée,
Responsable des Opérations du FNDC