Le coup d’État du 05 septembre a mis fin au 3ème mandat du Président Alpha Condé. La Guinée est désormais sous les ordres du Colonel Mamady Doumbouya qui marque déjà son territoire. Réunion avec les anciens ministres, invitation de la société civile et des partis politiques, l’agenda est bien chargé.  Dans cette interview, Mme Yansané Fatou Baldé, militante de la société civile, nous parle des facteurs qui ont conduit à ce coup de force.

Le commandant du groupement des forces spéciales vient de renverser le Président Alpha Condé. A votre avis est-ce que cet événement était-il prévisibles ?

Fatou Baldé Yansané : C’est vrai que notre pays vient de connaître une situation exceptionnelle de changement non démocratique de régime. Mais pour un averti de la vie politique africaine, surtout de la sous-région, il fallait prévoir que cela n’était pas fait pour durer. Le troisième mandat était le mandat de trop. Le président Alpha Condé n’a pas été assez averti pour préparer un dauphin constitutionnel et organiser des élections à l’horizon 2020 et quitter le pouvoir comme il l’avait promis dans son serment de 2010. Très malheureusement, il n’a pas tiré les leçons avec Mamadou Tandja, avec Blaise Compaoré. Il a pensé qu’il était plus intelligent que tous ceux-ceci. Et malheureusement, l’histoire est têtue. Il avait été suffisamment prévenu. Il a préféré son intérêt personnel à l’avenir de son parti et à l’avenir de toute la Guinée. Donc, ces évènements étaient bien prévisibles.

 

La junte est apparemment ouverte au dialogue puisqu’elle appelle déjà les membres de l’ancien gouvernement à une concertation. Etes-vous rassurée par cette démarche ?

Fatou Baldet Yansané : En matière de putsch c’est le schéma classique. D’abord on suspend les institutions, on dissout le gouvernement, ensuite on prend tous les leviers du pouvoir à travers les garnisons à l’intérieur du pays. Il faut rappeler que dans les années 70-80, on arrêtait systématiquement tous les dignitaires du régime, on les emprisonnait. Mais le droit a évolué aujourd’hui. On ne peut plus prendre un gouvernement qui a été déchu par un coup d’État et le mettre en prison. C’est aggraver la situation et les relations avec les voisins et les relations internationales.

Il est normal que la junte rencontre officiellement le gouvernement pour leur signifier qu’ils ne sont plus aux commandes. Ensuite, on attend de voir quel sort leur sera réservé et qu’est-ce qui va advenir. Je suis rassurée parce qu’il n’y a pas eu de brutalité outre entre militaires. La vie est calme. On continue à vaquer à nos affaires. Le président est en lieu sur. Son intégrité physique n’a pas été mis en cause, à ce niveau je pense que c’est rassurant.

Le colonel Mamady Doumbouya a invité la société civile et les partis politiques à une rencontre. Pensez-vous être de la partie ? A votre avis,  quelles sont les propositions que la société civile doit faire à la junte ?

C’est vrai que les nouvelles autorités ont demandé à rencontrer les organisations de la société civile et les partis politiques et même les membres du gouvernement. Mais pour cette première partie, laissez-moi vous dire que ça va être une rencontre trop populaire, dans laquelle il n’y aura pas forcément des discussions ouvertes pour des propositions en tant que telle.

Les archives sont là ! Nous avons travaillé depuis 15 ans sur des schémas de transition. La toute première des choses, il faut ouvrir les assises nationales sur l’État de la démocratie en Guinée ; et se poser la question pourquoi on n’arrive pas à consolider notre démocratie du fait qu’un seul individu inféode toutes les institutions, manipule la justice et manipule le tissu social et s’impose en maître absolu? Et par finir c’est une petite équipe sans même un grand effort qui dégage tout le système.

La particularité cette fois-ci, c’est qu’on a eu un coup d’État parce que c’est un président en exercice qui a été évincé. Les autres fois, c’est l’incapacité des institutions à jouer leur rôle qui a amené les militaires à se saisir du pouvoir. C’est la même chose en 84 ainsi qu’en 2008. Je suis acteur de la société civile. Je suis aussi ouverte à écouter parce qu’il ne faut pas se leurrer. Aujourd’hui le pouvoir est détenu par le Colonel Doumbouya et ses hommes à travers son comité. Que l’on condamne ou pas, on a l’habitude d’écouter ce genre de choses.  Je pense qu’il faut ouvrir les discussions afin d’orienter une transition qui nous permettra d’éviter de tomber dans une situation compliquée et que les sanctions ne durent pas. Il suffit de rassurer la communauté internationale aujourd’hui, de revenir sur des bases claires de la démocratie pour qu’on puisse lever, ne serait-ce que partiellement certaines sanctions.

Ce coup d’État est-il un recul démocratique ? Quelles peuvent être ses conséquences sur la coopération bilatérale ?

Le coup d’État reste un recul. Je ne cesse de le dire. C’est l’échec à la solution politique des problèmes nationaux qui amène et donne l’opportunité aux militaires de s’imposer en tant que maîtres de la situation ou sauveurs. Cette situation est d’autant plus dramatique que ces mêmes forces armées qui font des exactions, qui sévissent sur les populations civiles en appuyant ce civil évincé que nous applaudissons lorsqu’ils viennent dégager ce civil.

Le coup d’État reste un échec. Mais un échec provoqué par des civils inconscients et incohérents. C’est l’idiotie des civils qui donne l’appétit aux militaires. Et surtout l’envie de manipuler et d’inféoder les institutions qui donnent l’appétit aux militaires pour surgir.  Les sanctions viendront tout naturellement, c’est normal ! On ne peut pas encourager, ce qui n’est pas légal et légitime. C’est un principe qu’ils vont condamner. Je vais vous dire, la communauté internationale même ne savait plus comment se débarrasser d’Alpha Condé. Regardez tous les rapports qui sont sortis depuis début 2021 sur les droits humains. Notre pays était devenu le siège de toutes les violations des droits humains, de privation des libertés ; Et ça aussi la communauté internationale l’avait condamné à travers des rapports, à travers des communiqués. La coopération bilatérale ne va pas forcément s’arrêter ! L’urgence sera là. Nous sommes en état d’urgence sanitaire mondiale et je ne pense pas qu’on nous abandonne à nous-mêmes. Les sanctions seront juste de principe mais dans les faits ça ne fait pas vraiment peur. En 2008, on avait vu la même chose. Il ne faut pas craindre ses sanctions.

La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline,  disait John Fitzgerald Kennedy. Si la défait du Pr Alpha Condé est perçue comme une victoire, à qui revient cette victoire ?

Je pense qu’il ne faut pas oublier qu’il y a eu des personnes qui ont gardé la même ligne de conduite en disant nous nous opposons farouchement à cette manipulation constitutionnelle, à la reconduction d’Alpha Condé à la tête de l’État après de 2020. Aujourd’hui je salue le combat du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) qui ne s’est pas lassé. En moins d’une semaine après le mandat d’arrêt international émis contre Sékou Koundouno, c’est tout le système qui tombe. Qu’est-ce que ce monsieur avait fait pour mériter un mandat d’arrêt international? Je me dis que c’est le peuple de Guinée qui a combattu. Cette catégorie qui a dit non au 3ème mandat, qui s’est levé et a fait face aux armes, aux obus, à la bastonnade, à la prison et qui ont tenu. Je pense à ces dynamiques hommes qui sont allés à l’extérieur pour mener le combat là-bas. Ce sont eux qui ont été les précurseurs de cette situation. Il ne faut pas se leurrer. N’attendez pas d’ici demain, vous verrez les mêmes bandits qui étaient derrière le président déchu pour qu’il faut qu’il se présente, qu’il est indispensable, venir dire qu’ils jouent ont tout dit [à Alpha Condé], mais qu’il ne les a pas écoutés. Alors que non, ils se sont illustrés dans l’aboutissement du 3ème mandat.

Je croix que cette nouvelle transition doit servir de cadre pour nettoyer l’espace sociopolitique de ce pays-là afin de prendre un nouveau départ. On ne peut pas toujours faire la décantation et au lieu d’obtenir les déchets en bas et l’eau pur en haut, c’est le contraire en Guinée. Il faut que ça s’arrête. Le combat, il a été mené. Je félicite les partis de l’opposition, le FNDC et toutes les forces dynamiques qui ont été à l’avant-garde pour dire non. C’est ce ‘’Non’’ qui a créé la crise sociale profonde, qui a créé le malaise et qui a créé la panique totale au niveau du sommet, jusqu’à ce que le Président Alpha Condé estime qu’il pouvait se débarrasser du Colonel Doumbouya comme un torchon comme il a l’habitude de le faire ; Et que ce dernier a été proactif pour sauver sa tête. Je pense qu’il a fait le coup d’État en termes de légitime défense d’abord pour se sauver et sauver ses hommes parce qu’ils étaient sur le point d’être sacrifiés à l’autel du cynisme.

Entretien réalisé par Mame Tabara