L’embarras du CNRD face à l’interview du Président de la CEDEAO est une évidence pour les populations guinéennes. Jamais de mémoire d’homme, un ministre secrétaire à la présidence ne s’était laissé emporter par ses émotions et tenir des propos désobligeants à l’égard d’un Président de la République. Le colonel Amara Camara a versé sa bile sur Umaro Embalo Sissoko pour avoir simplement dit que la durée exigée par la CEDEAO est de 24 mois, et si la junte outrepassait cela, elle s’exposera à de lourdes sanctions. Il l’a dit dans un ton tempéré et non menaçant malheureusement, le porte-parole de la présidence ne l’a pas compris ainsi, c’est pourquoi il l’a invectivé à travers une réplique émotionnelle pas du tout diplomatique.

En plus, c’est le Premier Ministre chef du gouvernement qui a aussi réagi face à cette interview en traitant le Président Embalo de guignol.  Un tel propos émanant d’un haut cadre de l’Etat ne sied pas à son rang et à son statut. On a l’impression que l’on ne voit pas Embalo Sissoko comme président en exercice de la CEDEAO, mais plutôt comme petit président d’un petit pays. Un Etat ne se gère pas avec le cœur. Ni le colonel Amara, ni le Premier ministre Gomou n’avaient aucune raison de répondre au Président Embalo et par surcroît de tenir des propos irrévérencieux à son endroit. Le colonel Amara Camara a voulu parler au nom du peuple en brandissant l’étendard de la souveraineté. Les propos belliqueux tenus par le colonel Amara Camara et le premier ministre ne sont pas de nature à faciliter la concorde nationale.

La souveraineté nationale dont se targue le colonel Amara Camara n’obéit pas à la logique qu’il veut suivre. Il donne l’impression que la Guinée peut se passer de la CEDEAO, ce qui est faux et contraire à la ligne politique suivie par le pays depuis 1958. Feu Ahmed Sékou Touré ne disait-il pas que l’indépendance de la Guinée ne serait pas totale tant qu’il y aura une portion du continent sous domination coloniale ? C’est cela l’idée du panafricanisme et du nationalisme qui ne se fonde pas sur des considérations hégémoniques d’une junte militaire. Un adage soussou dit : « A force de durer dans le palmier, on risque d’être surpris par le vent ». Et c’est ce qui est arrivé à la junte qui vient de prendre un carton rouge qu’elle pouvait bien éviter. Son obstination et l’arrogance avérée qu’elle entretient dans ses discours et dans ses communications se retournent malheureusement aujourd’hui contre elle.

Les temps ont changé et les hommes avec, il y a lieu de comprendre qu’une transition est éminemment politique, pour la réussir il faut la mener avec les forces vives. A chaque fois que le pays est sous pression, les autorités font semblant d’obtempérer aux injonctions de la CEDEAO par cette malice, elles ont toujours échappé au courroux de l’organisation sous régionale. Mais cette fois-ci l’apprenti sorcier a échoué dans sa manœuvre et les conséquences ne sont autres que les sanctions ciblées et progressives contre la junte. Naïvement, colonel Amara et Bernard Gomou ont mordu à l’hameçon jeté par le Président en exercice de la CEDEAO, ils se sont laissés emportés par le cœur et non la raison. Il fallait savoir qu’une telle déclaration n’est pas subjective, elle émane d’une concertation avec ses pairs donc, la junte devait le savoir au lieu de se dresser sur ses ergots pour braver l’organisation sous régionale.

Ce n’est pas avec l’orgueil de guêpe que la junte pourra se tirer de cet imbroglio diplomatique, dans lequel elle s’est fourrée par l’incompétence et la puérilité de son porte-parole et de son chef de gouvernement. La seule solution plausible est de jouer franc jeu avec la classe politique et la société civile. Ouvrir un véritable cadre de dialogue inclusif pour que le problème de la transition soit posé et discuté en commun et non en aparté. Il n’est pas intelligent de comparer la situation malienne à celle de la Guinée. La première est celle d’un pays qui a duré sous l’influence djihadiste et dont les 70% du territoire sont presque sous leur occupation. L’armée est alors vue comme véritable défenseure de la souveraineté nationale. Alors qu’en Guinée, c’est l’armée qui a failli à ses objectifs en déviant dangereusement de la ligne qu’elle s’était fixé au départ, ce qui a provoqué le divorce entre le peuple et son armée qui l’accuse d’être la cause de toutes ses souffrances aujourd’hui.

Les conditions de vies devenues intenables on se demande avec ces sanctions, que deviendra la vie du peuple qui peine déjà à assurer sa pitance quotidienne. Malheureusement tout se fait au nom du peuple et à son détriment, c’est cela le paradoxe dans la situation guinéenne. Quand la junte dit qu’elle préserve les intérêts des populations, et c’est également au nom de ces populations que les forces vives tirent la légitimité de leur combat. Malheureusement avec la crise de confiance qui caractérise ces deux entités, la concorde et la paix ne sont que chimères. La radicalisation des positions qui se définit par une obstination aveugle, une guerre d’égo entre les forces vives et la junte ne pourra être que préjudiciable au peuple.

Il est venu le temps de bien réfléchir et d’analyser la situation présente pour trouver une issue favorable à tous. Le CNRD doit savoir qu’il ne jouit d’aucune légalité et d’aucune légitimité, c’est pourquoi il doit faire attention pour éviter le mécontentement populaire généralisé. Mieux vaut être avec les politiciens que de les avoir sur son dos. Les cas Dadis, Sékouba Konaté et Alpha Condé sont évocateurs de la nocivité des politiciens.

A bon entendeur salut !

MAM CAMPBELL JOURNALISTE INDÉPENDANT ET ACTIVISTE CONSULTANT EN COMMUNICATION

NB : cet article n’engage pas la rédaction du Courrier de Conakry