A LA DECOUVERTE DE LAKPO DAMEY, « Vingt Deux -Neuf Cent Sept »

Yalenzou est la commune rurale qui abrite Benzano, le village où réside Lakpo Damey à 45 minutes de Nzérékoré en voiture. Les dix premières minutes s’écoulent rapidement sur la route bitumée entre Nzérékoré et la sous-préfecture de Zao sur le chemin de Benzano. Le reste se fait sur une piste rurale pleine de nids de poule qui met les reins à rude épreuve. A l’entrée de Yalenzou, on aperçoit une petite école au visage bien triste. Juste après, sur la droite se trouvent les bureaux de la sous-préfecture de Yalenzou qui restent toujours fermés. La piste qui y mène est unique et traverse le village de bout en bout comme un corridor. Impossible de l’emprunter sans être vu et l’étranger est vite identifié. A la sortie de Yalenzou, on passe par le poste de contrôle des gendarmes qui débouche sur un carrefour en forme de « Y ».  Et s’offrent à nous deux axes dont un mène à Sodapa, le premier village libérien et le Fleuve Mano . Nous sommes en pays « Mano » des deux côtés de la frontière. Et le second axe nous conduit à Benzano, caché derrière une vaste plantation de café, village de notre ancien combattant. C’est ici que vit  Lakpo Damey, ancien combattant de l’Algérie française. Marié et père de six enfants, il est très fier de son titre d’ancien combattant de l’armée française.

A 18h  Lakpo Daamey,  est déjà dans sa petite chambre. Il reçoit rarement de la visite pour ne pas dire jamais. Sur le mur qui fait face à la porte, on aperçoit à peine son  diplôme  de reconnaissance délivré par la France.  Il s’installe dans ce village à son retour de guerre, au lendemain de la seconde guerre mondiale

Sur ce diplôme, il y est mentionné « 6ème régiment des tirailleurs sénégalais, N°637/déco ». Le diplôme est intitulé : «Diplôme de la médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien d’ordre en Afrique du nord décerné à Lagbo Damey  22 907 ».

22 907, c’est ce qu’il il retient le plus de toute sa vie d’ancien combattant. C’est gravé à jamais dans sa mémoire. Affaibli pas l’âge, la maladie, l’absence de soins, Lapko Damey semble révéler des troubles de mémoires mais n’oublie jamais son numéro de matricule qui revient sans cesse dans ses propos comme un refrain. Il n’oublie pas  non plus Toulon, l’Indochine et l’Algérie, terres de combat selon lui.

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La consonance de mon nom a changé dès mon recrutement me raconte –t-il. « Le blanc ne sait pas dire Lakpo.  Alors il m’appelait Lagbo et je savais que c’était moi. Mon nom de famille quant à lui est resté.  Lagbo Damey 22907.  Le blanc ne comprend pas ma langue et moi aussi je ne comprenais pas français. Mon numéro 22 907  je ne peux pas l’oublier ». Il prononce son numéro d’une façon particulière, en disant « vingt-deux -neuf cent sept »

Lakpo signifie en langue mano « le surplus ». Il est issu d’une famille très nombreuse dont les enfants ont survécu et il occupe certainement les derniers rangs dans la fratrie.

Assis dans sa chaise en bois, il mène une vie un peu triste. Pour lui c’est la routine. Sa première épouse est très présente dans ses souvenirs.

« Ma première épouse est décédée quelques mois seulement après mon retour de guerre. C’est une chose qui m’a affecté. Je suis de Karana (ndlr : Sous-préfecture située à 20 km de Nzérékoré, sur la route de Lola).  Quelques temps après, j’ai pris une autre femme et c’est avec elle que je suis venu m’installer ici à Benzano  Je vis dans cette chambre. On me donne du riz blanc. Quand je rentre dans ma chambre le soir j’en sors le matin. Je suis là et vis avec mes souvenirs » raconte –t-il.

REVE DE LAKPO DAMEY AU CREPUSCULE DE SA VIE

Père de six enfants, Lakpo Damey a perdu tout espoir.  II y a quelques années, il était un homme robuste qui pouvait faire face à ses besoins. Allez au champ,  faire la chasse comme il aimait bien le faire, extraire l’huile de palme ou le vin de palme.  Le seul rêve qu’il nourrit aujourd’hui comme, il le dit « c’est rencontrer son ancien maitre, le blanc » au crépuscule de sa vie« Depuis que je suis revenu personne n’est venu me voir. J’ai appris que ceux-là qui ont des parents en ville ont leur pension militaire. Moi, aucun membre de ma famille n’est en contact avec un blanc. C’est pourquoi je n’ai rien reçu. Je veux voir le blanc avant de mourir. Ce ne serait pas mal. On m’a dit que les blancs donnent l’argent au gouvernement guinéen. Mais si j’ai la chance de rencontrer le blanc il pourra me dire la vérité sur mon cas. Je veux voir le blanc » a confié Lagbo Damey ou Lapko Damey c’est selon.

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Dans ce village animiste de près de 600 âmes qui ne compte que trois familles chrétiennes, le taux de maintien des filles à l’école est très faible et les jeunes garçons ne rêvent que de Conakry. Ils deviennent très vite chef de famille et petit agriculteur. En ce mois de mars, tout est rose. C’est la période de l’extraction de l’huile rouge. Les familles qui ont des bras valides sont heureuses. Mais dans quatre mois, ce ne sera plus la même atmosphère. Les villageois auront fini de tout vendre sans prévoir les lendemains difficiles. Lakpo Damey en est conscient et parle de cette situation.

« C’est bientôt la saison des pluies. Là je gagne encore un peu de riz blanc. Ma femme ne peut plus  cultiver et je ne peux rien faire pour l’aider. Mais quand on va arriver au mois d’août (ndlr : période de soudure), ça va être plus compliqué » me confie –t-il.

UN HOMME SEUL DANS SES SOUVENIRS

Lakpo Damey, 22907 est une personne âgée  qu’on peut classer dans la catégorie des personnes dépendantes. Il traine une toux depuis plusieurs mois, sa chambre et son corps manque de soins. Il se déplace difficilement avec ses pieds enflés. Une situation de solitude inédite même dans un village africain où on pourrait croire que les personnes âgées bénéficient d’une forte attention. Il n’en est rien pour Lakpo.

«  Je n’ai pas trop de gens autour de moi. Ici tout le monde va au champ. Et le soir ma femme est dans la cuisine. Quand je suis là tout seul, je pense à ces moments difficiles. Mais  aussi aux moments de joie. Je les oublie  vite  parce qu’ici les gens se moquent de moi. Quand je parle de ma vie d’ancien combattant personne n’accorde de l’importance à ce que je dis. Je suis la risée du village. Je suis rentré avec un bonnet, un diplôme et mon médaillon  sur le quel est marqué Lakpo Damey, 22907,1940, la Guinée»

Le diplôme qu’il présente date du 1er février 1957. Il a deux signatures. La première signature est celle du secrétaire d’Etat aux forces armées « Terre » chargé des Affaires Algériennes et la seconde est  celle du ministre de la défense nationale et des forces armées.

Monia Diallo pour le courrierdeconakry.com

 

NB: Lagbo Damey est mort deux mois après la réalisation de ce reportage. Sa Veuve Labgo Seny est encore vivante

 

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