Au Cameroun, le tribunal militaire de Yaoundé a prononcé, ce lundi 24 avril, une peine d’emprisonnement ferme de 10 ans à l’encontre du correspondant de RFI en haussa. La défense de Ahmed Abba qui clame toujours l’innocence de notre confrère a déjà annoncé qu’elle fera appel.
Ahmed Abba a été condamné à 10 ans de prison ferme, peine assortie d’une lourde amende de près de 56 millions de francs CFA (environ 85 000 euros). La décision du tribunal est tombée à 18h30, heure locale, au bout d’une longue journée d’attente dans l’enceinte du tribunal militaire de Yaoundé.
Le cauchemar a commencé en juillet 2015, au moment de son arrestation, à Maroua, dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Il y a eu ensuite plusieurs mois de détention au secret, à Yaoundé, durant lesquels il a été torturé. Ahmed Abba a dû attendre quatre mois pour enfin parler à son avocat et deux de plus avant que son procès commence.
La procédure s’est longtemps limitée à une série d’audiences de forme et d’innombrables reports. Ahmed Abba n’a été entendu par les juges qu’en mars dernier et la sentence est tombée la semaine dernière. Le tribunal militaire l’a jugé coupable de non-dénonciation et blanchiment du produit d’un acte terroriste.
Les preuves apportées par RFI ont en revanche permis de faire tomber l’accusation d’apologie. Les juges ont reçu une copie de tous les travaux produits par Ahmed Abba et nulle part on ne trouve de traces de propagande.
Le journaliste risquait la peine de mort. Ses avocats ont réussi à ramener la peine à dix ans de détention – le minimum dans les cas de blanchiment – en mettant en avant la conduite exemplaire d’Ahmed Abba depuis son arrestation et le fait qu’il n’ait jamais été impliqué dans la moindre affaire.
Sa défense a annoncé qu’elle allait faire appel de ce verdict. Me Charles Tchoungang soutient que pendant le procès, l’infraction de blanchiment des actes de terrorisme n’a pu être vérifiée. Il entend donc en obtenir l’abrogation en appel. « Nous pensons qu’il faut que ce dossier soit réexaminé par des juges qui n’ont pas la passion, ni la pression qui a entouré ce dossier pendant 23 mois, a-t-il expliqué. On vous dit : vous avez blanchi les produits du terrorisme. Mais on ne vous dit pas quel est le produit que vous avez blanchi. A-t-on saisi des armes, des véhicules ou des munitions qui auraient été sous-traités par un agent terroriste à M. Abba pour le blanchir ? La réponse est non. »
Ahmed Abba a commencé à travailler en 2010 dans cette région très sensible qu’est l’Extrême-Nord du Cameroun – une zone régulièrement visée par Boko Haram – mais le journaliste n’envisageait pas de travailler ailleurs. D’abord cameraman, il est devenu en 2014 correspondant de RFI en langue haoussa et durant toutes ces années, il n’a rien fait d’autre que son travail de journaliste.
Un «message» adressé aux journalistes camerounais
« C’est une punition contre la presse, c’est une volonté de criminaliser le métier de journaliste au Cameroun, a réagi Denis Nkwebo, président du Syndicat national des journalistes du Cameroun. Parce que tout ce qu’on reproche à Ahmed Abba, c’est d’avoir été en situation professionnelle. A aucun moment dans ce procès, on ne nous a donné la preuve qu’il a été impliqué dans quelque chose de grave. La presse était jusqu’ici sous le coup d’une oppression silencieuse, et la condamnation d’Ahmed Abba est un message fort à l’endroit des journalistes qui osent encore exercer ce métier dans ce pays où l’on nous dit tous les jours qu’on est en démocratie. »
Et il rappelle que d’autres journalistes sont poursuivis pour non-dénonciation. Selon lui, au moins six journalistes anglophones ont été interpellés et sont détenus dans le cadre de la crise au Cameroun anglophone.
Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières se dit elle aussi atterrée par ce verdict. Elle dénonce elle aussi l’absence de pièces à charge. « Clairement c’est un message d’intimidation et on voit bien dans le contexte actuel que le gouvernement camerounais resserre les vis autour des questions de liberté d’expression, que ce soit avec les coupures d’internet des trois derniers mois, pointe-t-elle. C’est un message d’intimidation envers les journalistes de façon générale, mais surtout en ce qui concerne toutes les questions liées à la sécurité, à la lutte contre Boko Haram. »
Une condamnation inquiétante pour l’avenir de l’information au Cameroun, note RSF. « Le Cameroun n’a jamais vraiment hésité à mettre les journalistes en prison, mais là ce qui est nouveau c’est que les journalistes soient poursuivis en vertu de la loi antiterroriste qui date de 2014 et jugés par des tribunaux militaires, avec des sanctions qui sont beaucoup plus sévères que par le passé », souligne-t-elle.
Dans un communiqué, Amnesty International déplore un « procès injuste » et « une parodie de justice ».
Source: FFI