A l’occasion de l’ouverture des travaux du 10ème conseil permanent de la conférence épiscopale régionale des évêques d’Afrique de l’Ouest à Conakry (CERAO/RECOWA) ce 04 février, Mgr Jean Sylvain EMIEN Nonce Apostolique en Guinée et au Mali a fait une intervention très engagée sur l’islam et terrorisme, la promotion d’un dialogue permanent avec les autres communautés religieuses et le rôle des religions face au terrorisme.
Nous vous proposons de lire de l’intégralité de son intervention.
LES DÉFIS DU TERRORISME
POUR L’EVANGELISATION EN AFRIQUE DE L’OUEST
Conakry, 4 Février 2023
Excellence Dr. Bernard GOUMOU, Premier Ministre, Chef du Gouvernement
Excellence M. Karamo DIAWARA, Secrétaire Général des Affaires Religieuses,
Excellence Mgr Alexis Touabli, Président de la CERAO/RECOWA
Excellence Mgr Joseph Kwaku AFRIFAH-AGYEKUM, V.P. de la CERAO/RECOWA
Excellences vénérés Archevêques et Évêques, Présidents des Conférences Episcopales,
Excellences vénérés Archevêques et Évêques, Présidents des Commissions, CERAO
Excellence Mgr Vincent Coulibaly, qui nous accueillez dans votre Diocèse, Mgr Alexis,
Chers Pères, révérends religieux et religieuses, responsables des structures de la CERAO
Vous tous membres des structures de la CERAO, bien chers amis,
Honorables invitées,
Recevez mes salutations à la fois affectueuses et fraternelles, au moment où le Conseil Permanent de la CERAO/RECOWA se réunit à Conakry, pour débattre d’un fléau dont l’actualité et la cruauté ne laissent personne indifférent. Je remercie de grand cœur Son Excellence Mgr Alexis Touabli pour l’honneur qu’il me fait de m’inviter à cette rencontre qui s’inscrit dans la mise en œuvre du mandat missionnaire du Christ à ses Apôtres.
Le Pape Saint Jean Paul II écrivait au début de son Encyclique Redemptoris Missio . « La mission du Christ Rédempteur, confiée à l’Église, est encore bien loin de son achèvement. Au terme du deuxième millénaire après sa venue, un regard d’ensemble porté sur l’humanité montre que cette mission en est encore à ses débuts et que nous devons nous engager de toutes nos forces à son service ». RM. 1
Non seulement cette mission est encore à ses débuts comme l’écrivait le Pape Saint JPII, mais elle est confrontée à d’innombrables défis que les Pasteurs sont appelés à intégrer dans leurs programmes pastoraux. Cette Église, en effet, envoyée par le Christ dans le monde, qui est dans le monde sans être du monde a l’obligation intrinsèque de par sa constitution et sa mission de se montrer profondément solidaire de l’histoire des peuples, inséparable de la condition humaine au sein de laquelle elle fait vivre la présence du Christ. C’est justement pour cette raison que le Concile Vatican II proclame solennellement dès les premières lignes de la Constitution Pastorale Gaudium et spes : « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur» GS 1.
Ces tristesses et ces angoisses sont nombreuses du fait que, comme le souligne le Rapport synthétique sur l’Assemblée plénière 2022 du Dicastère pour le Dialogue interreligieux, nous vivons dans un monde cerné de forces contradictoires : richesses excessives et pauvreté abjecte, guerre et paix, forces de division et d’unité, forces de blessure et de guérison, forces pour protéger notre nature et pour la détruire .. forces qui promeuvent la citoyenneté mondiale et le multilatéralisme et forces qui construisent le nationalisme ethno-religieux ; forces qui encouragent le dialogue et la collaboration entre les adeptes de différentes traditions religieuses et forces qui répandent le fondamentalisme religieux, l’extrémisme et le terrorisme… (fin de citation).
Presque tous les jours malheureusement, les mass médias nous relatent les nombreuses tragédies causées par ces forces qui répandent le fondamentalisme religieux, l’extrémisme et le terrorisme dans nos pays membres de la CERAO. Je voudrais ici m’incliner solennellement devant la mémoire de toutes les victimes de ces tragédies spécialement les prêtres, religieux et religieuses. Puisse le Seigneur, le Dieu Miséricordieux et toujours fidèle les accueillir les bras ouverts dans le royaume préparé pour les martyrs. J’ai aussi une pensée spéciale pour toutes les personnes enlevées. Je compatis à la douleur de leurs proches et leurs communautés qui espèrent les voir revenir saines et sauves à la maison. Je suis meurtri jusqu’aux entrailles par la souffrance de ces populations innocentes qui sont obligées d’abandonner leurs villages, laissant derrière elles toute une vie de dur labeur…
Face au climat de terreur et d’insécurité créé par ce terrorisme, comment continuer à mettre en œuvre la mission du Christ ? Quelle pastorale adopter face aux populations déplacées ? Quel regard porter sur le dialogue et la coexistence avec les autres communautés religieuses et surtout avec les musulmans ?
Je n’ai nullement la prétention de vous indiquer des pistes d’action et court-circuiter vos réflexions… Je voudrais seulement encourager vos travaux en soulignant brièvement la vision du Pape François sur ce phénomène… et la position de l’Eglise Universelle.
- Dé-islamiser le terrorisme dans notre subconscient
Même si l’honnêteté intellectuelle nous oblige à ne pas nier la charge religieuse des attaques terroristes, il est impératif de «dé-islamiser» ce phénomène en refusant, d’une part, d’en faire un prolongement logique de la doctrine musulmane, et d’autre part en dissociant les musulmans ordinaires des terroristes. C’est ce que voulait signifier le Pape François lorsqu’il s’adressait aux journalistes dans l’avion qui le ramenait à Rome après les JMJ de 2016 en Pologne. Il disait et je cite: «Je n’aime pas parler de violence islamique, parce qu’en feuilletant les journaux je vois tous les jours que des violences, même en Italie: celui-là qui tue sa fiancée, tel autre qui tue sa belle-mère, et un autre… et ce sont des catholiques baptisés! Ce sont des catholiques violents… Non, les musulmans ne sont pas tous violents, les catholiques ne sont pas tous violents…Je crois qu’il n’est pas juste d’identifier l’islam avec la violence, ce n’est pas juste et ce n’est pas vrai.»
Comme on le voit le Saint Père refuse tout amalgame entre violence et islam, ou islam et terrorisme. Il s’avère donc important que nos fidèles gardent toujours à l’esprit que, si les terroristes attaquent les églises, tuent d’innocentes personnes, enlèvent des prêtres, des religieux et religieuses et bien d’autres personnes même de confession musulmane, la véritable corrélation entre le terrorisme et l’islam n’est pas nécessairement une question de musulmans contre chrétiens.
Le Pape considère plutôt «le dieu argent» comme «un terrorisme de base»: «Au centre de l’économie mondiale, il y a le Dieu argent, et non la personne, l’homme et la femme, voilà le premier terrorisme. Il a chassé la merveille de la création, l’homme et la femme, et il a mis là l’argent. Ceci est un terrorisme de base, contre toute l’humanité.» Le Souverain Pontife est conscient, en effet, que derrière la façade religieuse et idéologique des terroristes visibles, il y a des individus ayant des intérêts matériels soigneusement calculés dans des domaines comme le pouvoir politique, le gain financier et le contrôle géopolitique de régions entières… Que faut-il donc faire ?
- Œuvrer pour la promotion d’un dialogue permanent avec les autre communautés religieuses.
« L’Église catholique ne peut prendre d’autres armes que la prière et la fraternité entre les hommes» disait Mgr Lebrun, Archevêque de Rouen suite à l’assassinat du Père Jacques Hamel, le 26 juillet 2016. Oui, « L’Église catholique ne peut prendre d’autres armes que la prière et la fraternité entre les hommes». Si nous voulons réagir de manière appropriée face terrorisme, nous devons plutôt jeter des ponts pour redécouvrir et reprendre une vie qui tire sa substance de la fraternité véritable au sein de nos différentes communautés religieuses. Seule une pastorale de la main tendue avec les musulmans et les autres religions permettra de combattre ensemble l’ennemi commun : le terrorisme.
C’est cet appel au dialogue que nous lance d’ailleurs le Rapport synthétique sur l’Assemblée plénière 2022 du Dicastère pour le Dialogue interreligieux : En ces temps difficiles, le remède aux maladies mondiales est le dialogue: dialogue intra-catholique, dialogue œcuménique, dialogue interreligieux, dialogue interinstitutionnel et organisationnel, dialogue intra-national et dialogue international. Avec d’autres personnes de bonne volonté, l’Église cherche ainsi à anticiper la venue du Royaume de Dieu. Fin de citation.
Le dialogue vrai, en effet, nous aide à dépasser les préjugés, l’ignorance, les peurs, il nous aide à panser les blessures du passé. Il est vrai que dans la société, dans les religions, il y a plusieurs groupes intégristes fermés, cependant il y a aussi d’autres groupes ouverts; des mouvements qui sont contre l’intégrisme, contre le radicalisme.
Apprenons à nos fidèles à aller vers l’autre, à construire quelque chose avec lui; à installer en profondeur une nouvelle énergie, basée sur le dialogue et la recherche de la paix, de la fraternité. Seule une fraternité vraie entre nos différents religions pourra nous aider à lutter efficacement ensemble contre le terrorisme.
J’ai lu quelque part qu’au Kenya, vers la fin de l’année 2015, une bande de terroristes a attaqué un bus qui se rendait à Nairobi depuis la ville isolée de Mandera, dans le nord du Kenya, où coexistent dans une harmonie fraternelle chrétiens et musulmans. Les terroristes ont ordonné aux musulmans de se séparer des chrétiens afin de pouvoir tuer les « infidèles », c’est-à-dire les chrétiens. Fatigués de toutes ces attaques insensées contre des personnes à côté desquelles ils vivent depuis des années, les musulmans ont tenu bon. Les femmes musulmanes avaient hâtivement donné des voiles aux femmes chrétiennes pour qu’on ne puisse pas les distinguer. Les hommes musulmans se sont joints aux chrétiens et ont dit aux terroristes qu’ils n’allaient pas se séparer des chrétiens. Ils devraient soit les tuer tous ensemble, soit les laisser tous tranquilles. Ne pouvant les séparer, les terroristes sont partis… Cet exemple doit nous inspirer dans cette démarche de dialogue fraternelle.
- Rôle des religions face au terrorisme
Nous savons tous que les religions sont fondées sur des valeurs humaines universelles. Et même si ces valeurs sont souvent occultées par un climat de polarisation, les religions peuvent tout de même contribuer à déraciner les causes des conflits, à construire des ponts de dialogue et à adresser des paroles de guérison aux malfaiteurs comme aux victimes.
Toutes les religions doivent donc être invitées à faire en sorte que les vrais croyants restent attentifs à l’intolérance religieuse et œuvrent pour l’unité dans la diversité, condition indispensable pour une vie commune fraternelle et pacifique. Cela implique une lutte contre la déformation et le détournement des concepts religieux et leur politisation. Les adeptes de toutes les religions doivent aussi être appelés à préserver l’identité de leur religion tout en s’engageant dans la recherche d’une convivialité interreligieuse qui se réalise dans l’affirmation de la dignité de toute personne humaine et dans l’unité de la famille humaine.
- Documents pour une Pastorale face au défi du terrorisme
Le 26 janvier dernier, saluant les membres de l’Institut Européen pour les Etudes Internationales, le Pape François, parlant des guerres, leur disait entre autres: Ce qui apparaît comme une défaite et un motif d’opprobre peut, comme le scandale de la croix, devenir une victoire. Comment? Si par notre prière et par notre travail, notre travail de sensibilisation, nous sommes capables d’apporter des solutions, de motiver des volontés, de témoigner que l’amour, la fraternité et le véritable humanisme qui naît de la foi vainc la haine, le rejet et la brutalité. Fin de citation. Cette sensibilisation peut se faire à travers l’insertion dans la pastorale d’une étude systématique de la dernière Lettre Encyclique du Pape François Fratelli Tutti, portant sur la fraternité et l’amitié sociale. Les travaux de votre 4ème Assemblée Plénière qui s’était déroulée à Abuja, au Nigeria, en mai de l’année dernière, n’ont-ils pas porté sur cette Encyclique avec le thème : « Fratelli Tutti : chemin pour construire la fraternité et la paix durable en Afrique de l’Ouest » ?
Un autre document à prendre en compte et qui est en quelque sorte à l’origine de l’Encyclique Fratelli Tutti est le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, signé à Abou Dhabi, Capitale des Emirats Arabes Unis, le 4 février 2019, par le Pape François et Ahmad Al-Tayyeb, le Grand Imam d’Al-Azhar, en Égypte.
Il s’agit d’une Déclaration qui se veut une invitation à la réconciliation et à la fraternité entre tous les croyants, ainsi qu’entre les croyants et les non croyants, et entre toutes les personnes de bonne volonté. Il se veut aussi un symbole de l’accolade entre Orient et Occident, entre Nord et Sud, et entre tous ceux qui croient que Dieu nous a créés pour nous connaître, pour coopérer entre nous et pour vivre comme des frères qui s’aiment.
Un troisième document qui peut aussi s’avérer utile pour une vraie pastorale de dialogue fraternel est le Rapport synthétique sur l’Assemblée plénière 2022 du Dicastère pour le Dialogue interreligieux.
Nombreux autres documents peuvent vous aider dans vos réflexions sur l’évangélisation face aux défis du terrorisme. Mais je voudrais m’arrêter à ces trois, tout en confiant votre rencontre à la maternelle intercession de la Très Sainte Vierge Marie, Mater Ecclesiae et Sedes Sapientiae, invoquée dans ce Pays sous le vocable de Notre Dame de Guinée.
Je prie pour que le Seigneur fasse descendre en abondance sur chacun de vous son Esprit Saint, Esprit d’unité, Esprit de sagesse, de dialogue, de fraternité, afin que vos réflexions produisent des fruits en abondance pour une paix véritable et durable en Afrique de l’Ouest et dans le monde entier.
Je vous remercie.