Parlons sans détours : Alpha Condé, pour quelque raison que ce soit, n’avait pas à menacer de fermeture un média encore moins s’autoriser à donner des directives aux journalistes sur les sources à contacter. Hormis le fait qu’un chef d’Etat devrait avoir une autre approche à l’endroit de ses ‘‘contradicteurs’’, l’attitude n’est pour le moins pas du tout élégante. Cette sortie, par ailleurs politiquement incompréhensible, a marqué d’une tache indélébile une gouvernance qui, après tout, n’est pas aussi dure qu’on le prétend vis-à-vis de la presse.
LE RÔLE QUE VEULENT JOUER LES RADIOS DE MAINTENANT ÉTAIT PARFAITEMENT TENU PAR LA PRESSE ÉCRITE
Sans tomber dans le piège de la comparaison, comme l’a fait il y a quelques jours le doyen Souleymane Diallo du Lynx – pour qui la presse ne respire pas à plein poumons durant le régime d’Alpha Condé (par déduction elle serait plus libre sous Lansana Conté) -, il faut cependant rappeler des faits.
A l’époque, de Lansana Conté, le rôle que veulent jouer les radios de maintenant (sans y parvenir) était parfaitement tenu par la presse écrite. Et en mieux ! Et pour cause, la presse écrite est la presse d’élite, ne s’y aventure pas qui veut. Cette presse faisait des enquêtes équilibrées, beaucoup d’enquêtes car ceux qui l’animaient n’étaient pas des ‘‘investigateurs’’ du dimanche. Ces journalistes humbles et sérieux ne s’aventuraient jamais sur le terrain de la prétention. Oui, cette presse faisait des révélations qui n’étaient très souvent pas du goût du pouvoir (Affaire Ulimo, couverture complète des événements des 2 et 3 février 1996, Affaire Friguia Anaim, etc.).
JOURNALISTES HARCELÉS ET MALMENÉS, TRÈS PEU D’ENTRE EUX AVAIT COMMIS UNE IMPRUDENCE QUI JUSTIFIAIT…
Ainsi, des journalistes dans l’exercice de leurs fonctions ont été traqués, emprisonnés, expulsés, de manière parfois ubuesque. Ci-dessous quelques cas.
Le doyen Diallo Souleymane du Lynx (affaire miss Cedeao) a été arrêté. A sa suite, Boubacar Yacine Diallo (affaire ‘‘démission’’ du général Mamadou Baldé), feu Thiernodjo Bebel, feu Siaka Kouyaté du Citoyen (affaire de la mallette du président Conté), feu Aboubacar Condé de L’indépendant (révélations sur les préparatifs d’attaques rebelles), feu Jean Baptiste Kourouma (Affaire Friguia Anaim), le grand investigateur de L’indépendant Plus, tabassé et emprisonné sans autre forme de procès, Aboubacar Sylla (actuel porte-parole de l’opposition), Tibou Kamara, Foday Fofana (à l’époque de Reuters et BBC), dans l’affaire de la découverte de l’Ulimo en Guinée, etc. Saliou Samb (actuel correspondant de Reuters), dans l’Affaire Friguia Anaim, a été par deux fois, arrêté, emprisonné sans jamais être présenté à un procureur (faute de délit ?) et expulsé de façon totalement arbitraire ; Abdoulaye Sankara alias Maco a été sauvé de l’expulsion par le HCR (à l’époque dirigé par un certain Khassim Diagne) sur le tarmac même de l’aéroport Conakry Gbessia, Louis Espérant Célestin qui avait donné à poils à gratter à un ex ministre devenu grand opposant, expulsé par deux fois ; Serge Daniel (actuel correspondant de RFI au Mali) a été expulsé parce que ses reportages dérangeaient, excusez du peu. Ouf !
A la baguette de la cabale contre les journalistes, il y avait des hommes qui cherchaient à soigner leur image sans se soucier des moyens employés, bien cachés qu’ils étaient derrière l’appareil d’Etat dont ils se servaient pour régler des comptes personnels. Mais le plus curieux c’est que dans tout ce lot de journalistes harcelés et malmenés, très peu d’entre eux avait commis une imprudence qui justifiait qu’on les présenta devant un juge. Et ce n’est pas tout !
Tenez, le siège de L’Indépendant (à l’époque le journal des révélations) a été mis sens dessus-dessous par la flicaille qui s’acquittait de son rôle avec zèle. Un ancien journaliste de la boite nous raconte que le grand panneau qui trônait fièrement à l’entrée du journal, emporté à la faveur de la pénombre, n’est jamais réapparu depuis lors. Cela fait 18 ans !
Un promoteur de radio téméraire (Sankarela Diallo) à l’époque qui s’était risqué de se « préparer » avant la libéralisation officielle des ondes a vu son matériel saccagé par la garde présidentielle.
Quid du gel (pendant 13 ans) du salaire de Ben Daouda Sylla à la RTG ? Il lui était reproché son talent indéniable ; on l’accusait de dire des ‘‘méchancetés’’ sur Africa N°1, la radio dont il était le correspondant en Guinée. Des exemples d’entorses à la liberté de la presse pendant cette époque, on peut les multiplier par dix !
Mais la presse a tenu. Et heureusement ! Cette génération de pionniers courageux était constituée de professionnels passionnés, des hommes cultivés qui ont très vite compris le sens de l’histoire en restant debout. Les journalistes, bien que beaucoup moins nombreux à l’époque (en dépit de la libération des ondes au milieu des années 2000) avaient réussi à abattre un travail remarquable. Dire que l’internet, encore moins les réseaux sociaux étaient beaucoup moins développés !
JOURNALISTE BCBG CRÉÉ PENDANT LA TRANSITION MILITAIRE
La transition militaire. L’époque où un groupe de journalistes avec à leur tête un doyen, le regard à la fois malicieux et perçant, imbattable pour flairer les ‘‘bonnes affaires’’, sortaient du camp militaire avec les ‘‘foré sac’’ (sacs en plastique) remplis d’argent ! Autant dire que les journalistes à l’époque se sont mis pleins les poches, et, pour la plupart magnifiaient les faits et grandes gestes du Maitre de Conakry de l’époque. Une période qui a vu naitre un nouveau type de journaliste : riche, très riche. En clair, journaliste BCBG, souvent très peu scrupuleux, qui se souciait peu de la qualité de l’info. Mais ce n’était qu’une parenthèse qui n’est tout de même pas restée sans influence sur la suite.
TOUT BOUGRE QUI PENSE POUVOIR DONNER UNE ‘‘INFORMATION’’ SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX SE CROIT JOURNALISTE
Et vint l’époque d’Alpha Condé. Les radios privées prennent le dessus sur les médias d’Etat. Les réseaux sociaux sont au top. Tout bougre qui pense pouvoir donner une ‘‘information’’ sur les réseaux sociaux se croit journaliste et s’y prend au jeu avec le sérieux digne d’un film de Walt Disney. S’il ne s’identifie pas carrément à Joe Dalton en cavale, arnaquant et exerçant son chantage à tout va ! Le métier se dévalorise et les plus malins, à l’éthique aussi décadente que douteuse, savent qu’il faut créer le buzz pour être suivi. Et ils en créent à foison. Sans s’encombrer des normes établies. Sans se parer d’un minimum de règles professionnelles. Un sacré mélange des genres est créé. Plus de différence entre procureur et journaliste. Et pourtant ‘‘le journaliste doit avoir un sens élevé des réalités’’ (Saliou Samb de Reuters dans une interview accordée à Mediaguinee).
C’est de nos jours ce qui à l’évidence manque dans nos rédactions. Que dire de l’attitude du pouvoir Condé face aux médias ? Si Mouctar Bah de RFI a, un moment donné, souffert du non renouvellement de son accréditation du fait des zélés-le pouvoir à tort ou à raison-, l’accusait de rouler pour l’opposition, il faut cependant reconnaitre que ce pouvoir laisse à la presse guinéenne une liberté de ton sans commune mesure dans la Sous-région.
UNE LIBERTÉ QUI DOIT ÊTRE CONTRÔLÉE PAR L’AUTORÉGULATION
Cette liberté doit être contrôlée par les journalistes eux-mêmes pour qu’elle demeure. La meilleure pratique est l’autorégulation qui malheureusement aura du mal à exister chez nous compte tenu du désordre qui règne dans le métier : toute démarche visant à expliquer et à ramener la jeune génération au respect de l’éthique et de la déontologie est assimilée à une action engagée contre la liberté de la presse. A cette difficulté s’ajoute le manque d’icônes sérieuses dans la ‘‘nouvelle’’ presse nationale ‘‘peoplelisée’’ à souhait. Ceux qui devraient l’être sont le plus souvent ceux-là qui respectent moins les principes. Ils ne peuvent donc servir d’exemples. Dans la quête de la légèreté, difficile de faire mieux.
C’est l’occasion de rendre hommage à de grands journalistes ou chroniqueurs, tous décédés, dont les noms ont été presque oubliés : William Sassine ; Biram Sacko, Alassane Diomande, Jean Baptiste Kourouma, Sékou Amadou, Siaka Kouyate, etc.
L’autre danger qui guette la presse guinéenne est sans nul doute l’expansion des réseaux sociaux où le plus souvent les humeurs et la mauvaise foi malmènent l’information, la vraie. Et une ‘‘rumeur’’ distillée à partir des réseaux sociaux est reprise sans la moindre précaution par la majeure partie des journalistes. Dorénavant, on suit une tendance dans le traitement d’une information. Ce qui est on ne peut plus liberticide. Pujadas en quittant définitivement le 20h de France2 ne disait-il pas que le journalisme doit être ‘‘indépendant vis-à-vis des pressions de tous les pouvoirs y compris celui invisible du conformisme et du suivisme’’ ?
DE GRAVES ENTORSES ONT ÉTÉ INFLIGÉES À LA PRESSE CES SEPT DERNIÈRES ANNÉES PAR L’OPPOSITION
Par ailleurs, aussi paradoxal que cela soit, de graves entorses ont été infligées à la presse ces sept dernières années par l’opposition.
Il s’agit de la mise à sac à Koloma, lors d’une manifestation de l’opposition de la radio Sabari FM soupçonnée de porter la voix du pouvoir (le pauvre en est aujourd’hui réduit à chercher de quoi payer sa redevance à l’ARPT pour être autorisé à émettre !) et de l’assassinat de Elhadj Mohamed Koula Diallo, journaliste de guinee7.com, au siège de l’UFDG. Pour équilibrer, nous allons également rappeler le passage à tabac et le saccage du matériel par des gendarmes d’un groupe de journalistes aventureux qui, il y a quelques jours, réclamaient la libération d’un des leurs. Evidemment, inadmissible car rien ne saurait justifier une telle attitude de la part des gendarmes.
Cependant et c’est notre mot de la fin, nous collons à la presse guinéenne la pensée de Laurent Joffrin, directeur de la publication de « Libération » à propos de la presse écrite, pour dire que ‘‘truffé d’embûches, le futur de la presse guinéenne s’annonce incertain, mais pas lugubre’’. C’est mon humble avis. Celui qui n’est pas d’accord avec moi me jette la première pierre…
Source: guinee7.com