Ces derniers temps, le journal télévisé nous a montré les révoltes des populations de Boffa, qui a toujours été une préfecture très paisible de la Guinée Maritime. Le traitement médiatique de ces émeutes met en avant des explications souvent hâtives et superficielles, en évoquant le non respect des accords entre les entreprises et les communautés et en insistant sur la violence des manifestants.
Or, au-delà de ces motivations, il y a une situation bien plus complexe, que nous avons eu l’occasion d’analyser lors d’une enquête menée à Boffa au mois d’octobre, pour du projet MIGNEX, financé par l’Union européenne A cette époque, notre équipe de recherche a fait état d’une atmosphère explosive, du mécontentement d’une population privée la possibilité d’exercer ses activités productives et déçue par rapport à ses espoirs d’insertion professionnelle de la jeunesse.
L’exploitation minière a certes suscité de grands espoirs chez les populations de Boffa, qui ont espéré bénéficier de meilleures conditions de vie, de l’accès aux services et aux infrastructures, à l’instar des habitants des enclaves minières de Kamsar et Sangaredi.
Or, ces espoirs se sont transformés progressivement en désillusion, en frustration et désespoir, qui se traduisent de plus en plus par des manifestations violentes caractérisées par le vandalisme, à l’image des populations de Boke. Or, c’est pour éviter de tels problèmes que les études d’impact environnementales et socio-économiques sont exigées avant toute implantation industrielle dans une quelconque localité. Si elles étaient bien effectuées et assorties de recommandations écoutées par les entreprises et l’Etat guinéen, nous n’assisterions pas à ce triste spectacle produit par l’intensification de la production.
Par contre, ces localités sont confrontées à l’exploitation sauvage des ressources minières, peu soucieuse du respect de la nature et des conditions de travail et de vie des populations, qui deviennent de plus en plus pauvres et frustrées. A Boffa, les populations des communes urbaines et rurales, notamment Soumbouyadi et Douminya, qui vivent traditionnellement de la pêche et de l’agriculture, sont affectées par la présence des bateaux des entreprises chinoises, qui déversent des débris et de la poussière dans l’estuaire de la Fatala, tout en déchirant leurs filets.
Ainsi, ils ont été empêchés de pratiquer la pêche, car les bateaux miniers font aussi fuir les poissons vers la haute mer, où les pêcheurs de Boffa n’ont ni l’habitude, ni la compétence de pêcher.
C’est pourquoi ce sont leurs homologues léonais, ghanéens et chinois qui travaillent à leur propre compte ou qui sont embauchés par une société de pêche chinoise installée à Douminya, qui offre des conditions de travail très précaires.
De plus, les bateaux miniers et de pêche chinois empêchent les femmes de ces villages de pêcher les crevettes, ce qui représente depuis toujours une source de revenu importante pour les familles de la région. Or, si les pêcheurs ne trouvent ni poissons ni crevettes, les femmes commerçantes ne peuvent pas non plus les vendre. Lorsque les services de sécurité des entreprises trouvent des habitants de la localité en train de pêcher clandestinement en proximité des embarcadères, ils les traitent de voleurs, avec une brutalité et des moqueries très blessantes pour eux.
Pour extraire le maximum de bauxite, tout en minimisant les coûts de la production, les entreprises ont opté pour un système d’exploitation qui contribue à la dégradation de l’environnement sans pour autant créer suffisamment d’emplois qualifiés et bien rémunérés. En se contentant d’extraire seulement la bauxite dans les carrières pour la charger dans les camions qui roulent à vive allure, elles l’acheminent sur des anciens embarcadères sur les côtes . Les entreprises n’ont même pas pris la peine de construire des ports, ni de bitumer les grandes pistes, de la taille d’une autoroute, qui servent au transport de la bauxite.
La construction de ces routes et leur exploitation a naturellement contribué à détruire la flore, la faune, à endommager les cultures agricoles et à provoquer le tarissement des marigots, qui ont été bouchés pour permettre aux camions de les traverser sans construire des ponts. De plus les poussières soulevées exposent également les populations aux maladies respiratoires.
Sur le plan d’accès à l’emploi les discours politiques néolibéraux, teintés d’une vision communautaire du développement, continuent à entretenir les espoirs et les illusions des jeunes et de leurs familles.
En fait, la nature de cette production qui n’est pas localisée, (ce qui comporterait la réalisation de la plupart des opérations de transformation de la bauxite sur place), ne peut créer que peu d’emplois, précaires et peu qualifiés, avec des salaires entre 1.500.000 GNF et 2.000.000 par mois. A Douminya, les femmes qui travaillent pour une entreprise de pêche chinoise ne reçoivent que 25.000 GNF par jour et ne travaillent, d’habitude, que deux semaines dans le mois.
Face à tous ces impacts de l’exploitation minière subis par les populations, les compensations financières n’ont pu pallier les dégâts que très partiellement. Certes, elles ont permis à la plus part des familles bénéficiaires de de faire construire des maisons en dur avec des tôles à la place des cases. Or, elles les ont privées de leurs champs, cédés aux entreprises en échange de fortes sommes, rapidement dépensées par des paysans peu habitués à gérer de tels capitaux.. Cependant, une fois l’argent terminé, les populations de Boffa se retrouvent privées de leurs sources de revenus, de leurs ports et de leurs champs, sans pour autant profiter de bonnes occasions d’emploi de la part des entreprises : d’où leur colère. Leurs revendications, exprimées par la violence, sont au départ légitimes mais -comme nous l’explique le politologue David Easton – l’utilisation de la force les disqualifie, en contribuant à confondre un mécontentement réel et fondé à de simples actes de vandalisme. Ainsi, les problèmes ne sont pas posés dans une forme qui puisse prédisposer les autorités à écouter et à prendre les mesures nécessaires pour protéger des populations qui, au lieu d’être les principaux bénéficiaires de l’exploitation minière, en sont plutôt les victimes.
Dr Abdoulaye Wotem Somparé
Sociologue