Par JDA-Le 10 septembre, alors que des militants du Rassemblement des républicains (RDR) présents au Parc des sports de Treichville s’apprêtaient à danser au rythme du retour du président Alassane Ouattara à la tête du parti fondé en 1994 et au pouvoir depuis 2011, ils étaient loin de s’attendre à une surprise. Après un discours inhabituel de plus d’une heure, le chef de l’État a poliment décliné le choix des congressistes et préféré passer la main à Rose Henriette Dagri, épouse Diabaté, 82 ans. Désormais à la tête d’un RDR qui a amorcé le virage de son second mandat présidentiel et qui ne compte pas retourner de sitôt dans l’opposition, « Tanti », comme l’appellent affectueusement les militants, doit faire face à plusieurs défis : la succession d’Alassane Ouattara et la gestion de l’Alliance du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), avec l’élection présidentielle de 2020 en ligne de mire.
On peut le dire, en déjouant tous les pronostics, Alassane Ouattara a bien trompé son monde, qui pariait à mille contre un sur son retour à la présidence du Rassemblement des républicains (RDR), ce 10 septembre 2017. Se plaçant désormais au-dessus de la mêlée politique, et dans un jeu savamment organisé, il a décidé de passer la main à une figure emblématique et historique du parti, Rose Henriette Dagri Diabaté, Grande chancelière, qui connait bien la « case » pour y avoir consacré une bonne partie de sa vie depuis 1994. Entre prison, marches, menaces et intrigues politiques, elle n’a pas fléchi durant seize années de lutte dans l’opposition. À 82 ans, « Tantie », comme l’appellent les militants du RDR, hérite certes d’un parti au pouvoir, mais aussi d’un parti qui connait des remous parce que son chef, Alassane Ouattara ne briguera un troisième mandat en 2020.
Coulisses d’une désignation « Tout a changé dans la nuit de samedi à dimanche. Nous avons été pris de court », a confié à JDA Ibrahima Kamagaté, le conseiller en communication de la Grande chancelière. La décision aurait été prise au sein d’un cercle restreint. « Pas plus de cinq cadres y ont été associés », commente un militant, pour lequel, dans l’histoire du parti, aucun secret n’a jamais été aussi bien gardé. « Aucune fuite n’était possible », ajoute-t-il, jetant un regard amusé sur la stupéfaction créée par cette nouvelle. Des sources précisent qu’après avoir été informée autour de minuit, Henriette Dagri a fait appel à une équipe restreinte afin de rédiger son discours. Si ce choix a été opéré directement par le Président Ouattara, il a par contre consulté d’autres cadres avant de procéder à la nomination de la Secrétaire générale Kandia Camara et des trois autres délégués.
Désormais à la barre, Henriette Dagri, qui s’attendait à une retraite bien méritée, devra à nouveau enfourcher son cheval pour de nouvelles batailles. Ses liens avec Alassane Ouattara remontent aux années 1970, aux États-Unis. Alassane Ouattara était alors jeune banquier et Lamine Diabaté (époux de Dagri) travaillait à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest (BCEAO). En 1990, quand Ouattara est Premier ministre, il la nomme au ministère de la Culture et, quatre ans après (1994), quand les dissensions éclatent au sein du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Henriette est comptée parmi les membres fondateurs du RDR. Elle s’impose par son charisme et sa sagesse, et le respect que lui porte Alassane Ouattara, poussant tous les cadres et militants à en faire autant.
De tous les combats, elle assure le Secrétariat général du parti à la mort du fondateur, Georges Djeny Kobinan, en 1998, et connaitra en 1999 la prison à une période où la Côte d’Ivoire est dirigée par Henri Konan Bédié et que la rivalité font rage entre ce dernier et Alassane Ouattara. Lui rendant hommage en août 2011 lors de la rentrée solennelle de la Grande Chancellerie, Ouattara lançait : « vous incarnez la Côte d’Ivoire des valeurs, celle du travail, du mérite, de l’abnégation, de la persévérance et de la probité. Vos états de service sont là pour témoigner de vos qualités de professionnelle émérite et de manager compétent. »
Patates chaudes Toutefois, ce choix imposé a provoqué quelques grincements de dents. C’est que Dagri Diabaté prend la tête du RDR dans un contexte où Amadou Gon Coulibaly, son adjoint au secrétariat général durant une décennie, et Guillaume Soro, son colistier aux élections législatives de 2000 (le RDR s’était par la suite retiré pour invalidation de la candidature de Ouattara), sont désormais à couteaux tirés. Pomme de la discorde, leurs ambitions présidentielles pour 2020. Une patate chaude transmise par Alassane Ouattara, qui, tout en se mettant au-dessus de la mêlée, garde néanmoins un œil sur le parti depuis sa position de président d’honneur du RDR. « Même si nous gardons une distance avec le parti, nous espérons que Dagri Diabaté, qui a la sagesse que nous lui connaissons, pourra nous rapprocher de la direction du parti, nous associer et nous consulter pour les grandes décisions », commente-t-on dans l’entourage de Guillaume Soro, où l’on semble attendre les premiers pas de la présidente et un « mot d’ordre » du mentor. Difficile pour l’heure de dire si Soro va accepter un poste de deuxième Vice-président derrière Amadou Gon Coulibaly, car il devra cohabiter avec de probables vice-présidents comme Hamed Bakayoko, Amadou Soumahoro et Adama Bictogo, tous proches de Gon Coulibaly. « Ce sera un panier à crabes dans les mains de Dagri Diabaté », reconnait Abi-Daman Koné, chargé de communication du Réseau des amis de Côte d’Ivoire (RACI), mouvement proche de Guillaume Soro. Mais, relativise-t-il, « tout dépendra de la présidente et du président d’honneur. S’ils ont l’autorité suffisante, tous les vice-présidents seront obligés de se ranger sur la ligne qu’ils vont tracer. »
Autre déminage en vue, la gestion de l’allié du PDCI, dont le président, Henri Konan Bédié, emboitant le pas à Alassane Ouattara, a prôné le renforcement de l’alliance, en insistant « sur le respect de la parole donnée. » Si Henriette et Henri se rencontrent fréquemment, selon leurs proches, une grande complicité ne règne pas entre les deux, qui devront désormais officiellement tracer les sillons de l’avenir du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Au menu des premiers échanges, et peut-être aussi des premiers couacs, la création d’un parti unifié, sans cesse annoncée, souhaitée, mais toujours repoussée, ainsi que la désignation du candidat RHDP à l’élection présidentielle. Les deux alliés affichent officiellement leurs accords, mais chacun se bat pour conserver ou obtenir le plus grand privilège, celui de voir son candidat tête de liste.
Mains liées ? Si tous s’accordent à lui reconnaitre des qualités, elle a « à 82 ans, atteint l’âge de la retraite politique », selon le politologue Eddie Guipié, pour qui le président Ouattara pourrait encore tirer les ficelles. « On ne connaît pas encore les attributions du Président d’honneur et, à écouter certains cadres du RDR, on n’arrive pas à maitriser tous les contours. La confusion persiste encore. » Mais, à la rue Lepic, siège du parti, certains militants estiment qu’Amadou Gon a toujours été le véritable maître du parti et sa désignation en tant que premier vice-président renforce la conviction de ceux qui pensent qu’il restera aux manettes. Même si on ne lui connait pas d’ambitions politiques, la présidente reste tout de même capable de surprendre et de diriger le parti. Pour y parvenir, Henriette Dagri devra avoir la poigne nécessaire. Joseph Odjé Tiakoré, ancien président de la jeunesse du RDR et porte-parole adjoint, n’en doute nullement. « Elle a le profil parfait. Elle est suffisamment avertie, elle a l’expérience qu’il faut et elle ne travaillera pas sous le contrôle de quelqu’un », tranche-t-il, avant d’ajouter qu’elle maitrise les rouages politiques tant au niveau national qu’international. D’ailleurs, poursuit-il, « elle a le coffre nécessaire pour discuter d’égal à égal avec le président du PDCI dans le cadre de l’alliance du RHDP ». Même son de cloche chez Abi-Daman Koné. « À priori, elle est la personne indiquée pour recoller les morceaux et, en tant que baronne de la maison, elle ne peut pas se laisser influencer ». Ils s’accordent également sur le fait que malgré ses 82 ans, elle possède encore les ressorts nécessaires pour conduire le parti vers de nouvelles victoires, ayant tous les militants et les cadres à sa disposition. « Cela ne souffre d’aucun doute. »
Par Ouakaltio OUATTARA