Platon disait ceci à propos de la politique : « L’art politique réalisant le plus magnifique et le plus excellent de tous les tissus, en enveloppe, dans chaque Cité, tout le peuple, esclaves et hommes libres, les serre ensemble dans sa trame et, assurant à la Cité tout le bonheur dont elle peut jouir, commande et dirige ».

Fondamentalement, la politique n’a de sens que dans sa capacité à être un tissu qui protège la totalité du peuple, en le constituant en un bloc, certes diversifié mais uni, pour lui assurer le bonheur auquel il peut légitimement prétendre. Le commandement qui revient au politique tire sa légitimité dans sa volonté affichée, dans son ambition et son action affirmée de garantir la quiétude et la satisfaction de l’intérêt du peuple, sans aucune discrimination. Etre au service de la Cité. Etre au service de l’autre. Servir et non se servir. L’engagement politique procède donc d’un projet déterminé à aider son prochain, à concourir à lui apporter paix et harmonie. Ainsi, le principe de base de celui qui s’engage est d’affirmer que l’essence de sa propre existence se mesure à l’aune du sens qu’il a apporté à la vie de son prochain. L’humanisme, d’une certaine façon, est le fondement de la démarche politique. Alors question : la politique à la guinéenne répond-elle à ces principes élémentaires ?

De mon point de vue, on en est encore très éloigné. Depuis plus de soixante ans, notre pays est traversé de spasmes et de convulsions dont les hommes politiques sont les principaux instigateurs. L’intérêt supérieur de la nation est devenu une expression galvaudée, nourrie de toutes les démagogies. Le peuple, notion déjà confuse au départ, est servi à travers toutes les rhétoriques politiciennes, avec pour seul objectif soit de conquérir le pouvoir, soit de s’y maintenir. Coûte que coûte. Régulièrement, on affirme qu’on est dans une société à plus soixante-dix pour cent analphabète, accréditant l’incapacité de la population à comprendre les enjeux de pouvoir et une perméabilité à la manipulation. Evidemment, à force de l’avoir martelé, les Guinéens ont intériorisé ce complexe, se laissant alors mener par le bout du nez par un petit clan mafieux et clientéliste qui a pris le pays en otage. On ne se pose plus les vraies questions de la descente aux enfers du pays depuis son indépendance. Le peuple a été mis dos-à-dos, par l’entremise de clivages factices, artificiellement entretenus par une fausse élite sans vergogne. RPG arc-en-ciel versus UFDG, avec en embuscade UFR/PEDN, Mouvance mouvementée contre Opposition opposée (avec là encore des fausses querelles de leadership et de positionnement), Peuls contre Malinkés avec la difforme idée de position de girouette Soussous ou Forestiers. Alors que la véritable fracture est ailleurs. Impénitente et insolente celle-là, si près mais en même temps si éloignés, tels des fils parallèles qui se voient mais ne se touchent jamais : les riches et les pauvres, ceux qui mangent à leur faim au point de nourrir leurs poubelles de restes et ceux qui vivent au jour le jour la peur du lendemain au ventre, ceux qui roulent dans des carrosses rutilantes, climatisées au frais du contribuable ou achetées par le vol des deniers publics et ceux qui s’entassent dans des transports en commun exposés à la mort sur des chaussées vertigineuses, ceux dont les enfants sont scolarisés à l’étranger et ceux dont les gosses sont superposés dans des classes aux effectifs pléthoriques, les malfaiteurs jouissant de leur liberté à l’air frais et les innocents croupissant en prison ou en exil pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. Tels sont les stricts et réels clivages que certains ne voudraient jamais voir gommer. Pour cela, ils ont inventé des lieux de séparation du peuple pour que leurs lignes parallèles, fabriquées au grand dam de la majorité, ne s’embrassent jamais. Deux positions irrémédiablement irréconciables. Parce que les uns se confortent dans leur position de privilégiés dominants, tandis que les autres se résignent à leur place de « damnés de la terre ».

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En sus, la politique sale s’est insinuée tel un virus jusque dans nos liens séculaires. Elle démolit nos relations de bons voisinages et obstrue toutes nos espérances. Avec une politisation à outrance du débat public, elle empêche toute discussion civilisée de se tenir normalement dans la Cité, important à satiété les clivages sciemment entretenus. Un désaccord est vite tranché par la lame dommageable de l’appartenance politique avec son vulgaire corolaire qu’est l’ethnie. Pendant que ces divisions maintiennent le pauvre citoyen dans sa misère, la petite minorité de politicards sournois et kleptomanes se sucrent, dans le secret des palais et des palaces. De temps en temps, ils se livrent à un spectacle de fléchettes nimbées de lâcheté par médias interposés.

La presse, espace par excellence de la protection de la liberté, de l’honneur et du bonheur bafoués du peuple, normalement ultime refuge de la vérité persécutée, est devenue la caisse de résonance de toutes les entourloupettes politiciennes. Il s’est désormais développé entre les deux espaces (politique et médiatique) une frontière poreuse, une liaison suspecte, douteuse, incestueuse, où les deux espèces copulent dans l’avilissement le plus total. C’est dans l’espace médiatique que nos politiciens véreux ont trouvé le lieu de légitimation de leur soif du pouvoir et de l’argent. Par les journalistes, les politiciens nous refilent leurs infections. La course aux avantages des uns croise ici l’ambition de l’argent des autres. Et chacun jure par la foudre de Zeus qu’il ne défend que le peuple martyr de Guinée. Alors que dans les clignotements furtifs des lucioles, au plus fort des nuits ténébreuses, les ombres louches se dessinent et se faufilent, au moment où le citoyen lambda se bat avec sa petite bougie et se demande de quel soleil son corps fragile sera brûlé demain. Chaque jour apporte sa nouvelle information de déni, de reniements, de traitrise, de trahison. Chacun, prenant la parole à son tour, jure par tous les dieux, qu’il ne vit que pour défendre le peuple. Et qu’est ce qu’ils ont la bouche mielleuse, la parole trompeuse, la logorrhée dragueuse, la langue belliqueuse ! Surtout lors des réunions des Assemblées Générales qui restent des occasions de joutes oratoires et d’exhibitions approximativement théâtralisées, avec des attaques ciblées qui n’apportent aucune plus-value citoyenne aux militants. Là encore, les médias, abonnés à l’offre minimale, se font les relais frénétiques de ces attaques et contre-attaques avec une formule devenue culte : « la réponse cinglante de… », ou « réponse sanglante de… », selon le niveau du journaliste qui tient la plume.

Finalement, le peuple ne sait plus à quelle parole, à quelle feinte se vouer. On a fait de l’engagement politique un tremplin pour chaparder sa part du gâteau. Chaque parole proférée dans l’espace politique, relayée en ondes médiatiques, sonne en fin de compte comme un couteau de boucher dissimulé qu’on sort à la première occasion pour arracher sa part de viande dans une vache qui ne tient plus sur ses quatre pattes. On a fait ici sa propre interprétation, sa propre lecture des préceptes de Machiavel. Si, comme on dit ici, il n’y a pas de morale en politique, cet axiome a trouvé ses lettres de noblesse en Guinée. Chacun roule pour lui-même. Mais le pire n’est pas là. Le plus terrible dans cette aventure à laquelle on a contraint le peuple de Guinée, c’est définitivement d’avoir fait gober à tout le monde qu’il y a une opposition entre ceux qui semblent se combattre. Même si c’est le cas en apparence, dans le fond il n’en est rien. Puisque des deux côtés, aucun n’a connu l’impuissance face à la douleur de son enfant se morfondant dans une maladie parce que papa n’a pas de quoi le conduire à l’hôpital ; aucun ne connaît des nuits agitées, parce que son sommeil est perturbé par une voix qui le questionne comment assurer le lendemain la nourriture familiale ; aucun ne subit la bagarre du matin pour attraper un taxi ou un magbana en voulant se rendre le matin au travail ou le soir à la maison ; aucun ne subit l’éclairage à la bougie ou à la lampe-tempête, parce que Kaléta n’a pas tenu ses promesses et qu’il n’a pas les moyens de s’offrir un groupe électrogène. La liste est longue. Tous sont libres de ces besoins, parce que l’essentiel de leur confort est bâti sur le sacrifice et le sang de la majorité. Les mêmes qui gagnent. Les mêmes qui perdent. Les mêmes heureux. Les mêmes malheureux. Un cycle perpétuel. Un perpétuel recommencement. Comme un serpent qui se mord la queue. Les enfants de ces nantis, nés avec une cuillère en or dans la bouche, issus d’une certaine bourgeoisie, d’une aristocratie certaine, ayant bénéficié de formations à l’étranger viendront commander, diriger les rejetons de ceux qui n’ont pas eu les moyens de partir et qui n’ont pas réussi, par un joli coup du sort, à se faufiler entre les mailles du filet pour se faire une place à la mangeoire de la République.

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Alors, tout d’un coup, cette question essentielle qui surgit : comment mettre fin à cette gangrène qui s’est métastasée ? La plaie s’est infectée et si on y prend garde c’est tout le corps qui sera empoisonné. Une seule solution s’impose : couper le membre souillé. Mais il ne faut pas se tromper. Comme le réclament certains, à la lumière des élections françaises, le salut guinéen ne viendra pas d’un homme. Il viendra des profondeurs du peuple qui, exaspéré par soixante années de tâtonnements et de mensonges, de faux-semblant de faux-culs, doit se réveiller. Parce que ne nous y trompons pas. Dans le landerneau politique guinéen, la corruption a pris des proportions considérables, entraînant dans le sillage de vieux roublards, de jeunes tocards qui ont perdu le sens de l’intérêt général. De vieux briscards qui sont en perpétuel recyclage de méthodes. Ce sont ceux qui étaient là hier qui sont là aujourd’hui et qui seront là demain ; à quelques exceptions près, ceux qui n’auront pas réussi leur mue, leur retournement de vestes. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir ceux qui sont aujourd’hui à Sékhoutouréya ou les grands favoris de l’opposition et ceux qui gravitent autour d’eux. D’un côté comme de l’autre, ils ont mangé hier, ils mangent aujourd’hui et ils mangeront demain. Une véritable mafia politique dont l’affairisme n’est plus qu’un secret de polichinelle. Ceci continuera encore et encore. A moins qu’un souffle nouveau et dense, unitaire et bannissant les faux clivages et délibérément nourris, bondissant de l’intérieur de nos douleurs, décide de se saisir de notre destin pour lui imprimer une direction nouvelle, afin que la politique retrouve ses lettres de noblesse. Ramener la politique à son aptitude à assurer le bonheur du quotidien et à insuffler au peuple l’espoir, l’espérance en un lendemain meilleur. A ce titre, tous les vrais engagés de la vraie politique doivent fonder leur activisme dans cette vérité première : Etre loyal envers son pays et envers le gouvernant qui le mérite. Le but étant, non pas de faire la politique autrement simplement (ce qu’on fait déjà très bien), mais de faire la politique proprement.

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