DECRYPTAGE // Après le résultat spectaculaire du RN aux élections européennes, les législatives anticipées de fin juin 2024 pourraient propulser Jordan Bardella au poste de Premier ministre, obligeant Emmanuel Macron à partager le pouvoir. Au fait, pourquoi le président de la République a-t-il convoqué de nouvelles élections législatives ? Quelle est sa véritable stratégie derrière cette décision ?
Le Rassemblement national (RN) arrive en tête des élections européennes 2024 avec 31,4 % des suffrages. Il envoie ainsi 30 eurodéputés au Parlement de l’Union européenne, soit douze de plus qu’il y a quatre ans. Avec la liste Reconquête ! menée par Marion Maréchal, les partis de droite extrême cumulent ainsi 36,9 % des voix, contre 14,6 % pour la majorité présidentielle (Renaissance).
Face à cette débâcle, le président de la République a pris la décision, comme la Constitution le lui permet, de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer de nouvelles élections législatives, le 30 juin et 7 juillet 2024. L’événement est rare et il faut remonter à 1997 pour la dernière dissolution. Elle s’était d’ailleurs soldée par une mise en minorité du parti (RPR) de Jacques Chirac et l’arrivée de la gauche de Lionel Jospin au gouvernement. Pas vraiment un succès pour le président de l’époque…
Face à cet antécédent, pourquoi Emmanuel Macron a-t-il fait ce pari ? Car le risque est grand d’apparaître comme le président qui a permis l’accession du RN au pouvoir. Voici trois raisons émises par les experts depuis hier :
Pousser les partis politiques à clarifier leur positionnement pour ainsi retrouver une majorité
« Une fièvre s’est emparée du débat public et parlementaire, un désordre qui je le sais vous inquiète, parfois vous choque. » L’allusion du président lors de son allocution télévisée de dimanche soir est à peine voilée et vise les députés de la France insoumise (LFI), et leurs protestations bruyantes au sein de l’hémicycle. Il faut dire que la Nupes (union des gauches) avec 31,6 % des voix obtenus aux élections législatives de 2022, est venue troubler le jeu de la majorité présidentielle qui depuis n’avait plus que 38,6 % à l’Assemblée.
Ce nouvel équilibre né des élections législatives de 2022 a plongé l’Assemblée dans une instabilité. Le gouvernement doit sans cesse trouver des compromis, souvent avec le parti de droite classique (LR), pour faire passer des textes. L’autre option, largement usitée, est celle du recours à l’article 49.3 qui permet d’adopter un texte de loi sans vote des députés. A ces occasions, les oppositions ont systématiquement déposé une motion de censure, mais les LR, qui ne sont ni dans la majorité, ni totalement dans l’opposition, ne se sont jamais résolus à la voter. Résultat : le gouvernement n’est jamais tombé. Or, ces dernières semaines la donne a changé.
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EDITO – Pour une fois, Emmanuel Macron n’a pas procrastiné. Pourtant, il aurait dû !
Début juin 2024, le président du groupe LR à l’Assemblée a annoncé que l’éventualité d’un vote des LR en faveur d’une motion de censure du budget (qui est le texte de loi le plus important présenté chaque année à l’automne) était bien sur la table. Emmanuel Macron sait dès lors qu’une crise politique est imminente. Plutôt que de subir ce camouflet, le président a choisi de lui-même provoquer cette crise sans être renversé à l’Assemblée, dans l’espoir de pousser les LR à choisir entre une majorité menée par la droite extrême (RN et Reconquête !) ou par Renaissance. De même pour la droite du Parti socialiste (PS) qui pourrait se voir reprocher de ne pas avoir permis une majorité menée par Renaissance et d’avoir laissé le RN accéder au pouvoir.
Le pari de l’incompétence du RN et du retour au pouvoir en 2027
Parmi les raisons qui ont poussé le président à la dissolution, des experts politiques supputent un coup de billard à trois bandes. Explications : avec la poussée de la droite extrême, on peut s’attendre à ce que le RN, épaulé de Reconquête !, forme pour la première fois une majorité à l’Assemblée nationale. Il y aurait alors jusqu’en 2027 et la prochaine élection présidentielle, Jordan Bardella, président du RN, au poste de Premier ministre (et donc ce qu’on appelle une cohabitation). Le coup de poker d’Emmanuel Macron peut être de montrer aux Français l’incompétence ou l’impréparation du jeune leader et de son gouvernement, pour ainsi redonner en 2027 le pouvoir aux partis modérés.
Au-delà de la supposée incompétence du RN, on le sait, les élections présidentielles puis législatives, sont souvent l’occasion pour le peuple français d’infliger une défaite au gouvernement en place. Mis à part les élections de 2007 et 2022 où la majorité présidentielle au pouvoir a été reconduite, les élections nationales de ces quarante dernières années ont quasiment toujours renversé la majorité : élections législatives de 1986, 1988, 1993, 1997, 2002, 2012 et en quelque sorte 2017 où Emmanuel Macron s’était détaché du PS.
A noter que ce pari peut être risqué : le RN pourra après trois ans de pouvoir arguer qu’il est finalement capable de gouverner.
Renaître et quitter le pouvoir en démocrate gaullien
Sans majorité à l’Assemblée nationale depuis 2022, le gouvernement a largement eu recours à l’article 49.3 pour faire voter ses lois. L’absence de vote des députés lié à cette procédure a souvent radicalisé les oppositions qui ont dénoncé une démocratie bafouée. Elisabeth Borne l’a utilisé 23 fois, ce qui la met sur la 2e place du podium des Premiers ministre l’ayant le plus utilisé, derrière Michel Rocard et ses 28 utilisations (mais lui est resté trois ans à Matignon, contre un an et huit mois pour Elisabeth Borne).
Après ses attaques en brutalité, Emmanuel Macron redonne ainsi la voix au peuple. Il espère ainsi s’inscrire dans les traces de Charles de Gaulle qui, alors qu’il avait été contesté dans la rue en mai 68, avait dissous le 30 mai l’Assemblée en vue de clarifier l’état de l’opinion. Un mois plus tard, le général en sortait conforté avec près de 50 % des sièges. Si le président actuel est loin de s’assurer une victoire aux prochaines législatives, il laissera a minima derrière lui un acte que beaucoup considéreront comme courageux.
Au fait, le pari du président de la République est-il si fou ?
Face au résultat spectaculaire du RN aux élections européennes, le pari du président est risqué. Oui mais peut-être seulement en apparence. Il faut savoir que l’élection législative n’est pas celle des européennes, pour la bonne et simple raison que le mode de scrutin diffère.
Les élections européennes se font à la proportionnelle à un tour alors que les législatives sont uninominales à deux tours. Qu’est-ce que cela implique ? Aux législatives, le candidat qui réussit au second tour à réunir la majorité des voix sur son nom est élu. Or, depuis sa création, le principal problème du RN est de ne pas réussir à franchir la barre des 50 %, car même s’il progresse, une majorité de Français ne se résout pas à voter pour le parti fondé par Jean-Marie Le Pen.
Dernier exemple en date : Marine Le Pen a obtenu 41,45 % des voix au second tour de la présidentielle de 2022 mais deux mois plus tard, son parti ne fait que 17,3 % lors des législatives, un certain nombre de députés ayant été mis en minorité lors du second tour.
Source : les Echos