Promouvoir, développer et protéger le patrimoine culturel de la Guinée Forestière, c’est l’objectif du projet Zaly Merveille. C’est une initiative du cabinet Web Zaly dirigé par le web activiste Lansana Keita. Ce projet numérique vise à mettre la lumière sur les sites touristiques de la Guinée Forestière afin d’attirer des touristes vers la région. Mais comment y parvenir ? Quels sont les principaux défis ? Ce sont entre autres des questions que nous avons posées au coordinateur général de web Zaly, Lansana Keita. Lisez l’intégralité de l’interview réalisée par Mamady 2 Camara, correspondant régional de Lecourrierdeconakry.com.
Lecourrierdeconakry.com : Dites-nous comment est née l’initiative Zaly Merveille.
Lansana Kéita : L’initiative Zaly Merveille a été inspirée d’une sortie touristique que nous avons effectuée le 4 septembre 2021 avec l’ONG ATUJG, sur les pieds du Mont Nimba précisément au niveau du pont naturel. Ce jour-là, j’avais pris des images que j’ai publiées sur nos réseaux sociaux qui ont généré plusieurs interactions. Plusieurs followers demandaient à savoir où se trouve ce pont. Ainsi, j’ai dû comprendre que les gens n’ont pas assez de connaissances sur les sites touristiques et le patrimoine culturel de la Guinée forestière. C’est ce qui nous a inspirés à initier ce projet. Pour un premier temps, l’idée était de créer une page Facebook pour promouvoir les sites touristiques de la région. Delà, on a commencé à améliorer le projet et on a compris qu’on ne pouvait pas se limiter aux sites touristiques mais qu’il fallait élargir aux patrimoines culturels
Lecourrierdeconakry.com : Quelles étaient vos principales motivations pour lancer cette initiative ?
Lansana Keita : Notre principale motivation était de changer la réputation de la Guinée Forestière qui est considérée comme une zone de conflits. Nous voulions montrer à la face du monde que cette région n’est pas qu’une zone de conflits mais qu’elle égorge aussi d’énormes potentialités touristiques. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a beaucoup d’opérateurs économiques qui ont abandonné N’zérékoré et d’autres qui voulaient venir mais ils ne l’ont pas fait à cause des conflits. Donc, c’est une manière pour nous d’attirer ces gens et d’autres personnes à venir investir.
Lecourrierdeconakry.com : Quels sont les principaux objectifs de Zaly Merveille ?
Lansana Keita : Zaly Merveille a deux grands objectifs à savoir :
- Identifier les patrimoines culturels de la Guinée Forestière et engager les jeunes dans la promotion de ces patrimoines, pour que ces jeunes puissent eux-mêmes, protéger et promouvoir ces sites touristiques. Cela se fera en premier lieu par le volet numérique à travers la création d’un site web. Ensuite, on fera la cartographie des sites touristiques pour stocker les données dans le site web.
- Le deuxième volet, c’est la mobilisation communautaire qui s’est fait à travers une formation des jeunes que nous avons appelés des jeunes ambassadeurs. Ces jeunes qui ont été formés par un spécialiste ont pour mission d’organiser des activités culturelles dans les quartiers afin de mobiliser les communautés dans la promotion et la protection des sites touristiques.
Lecourrierdeconakry.com : Comment espérez-vous que cette initiative puisse contribuer au développement du tourisme en Guinée Forestière.
Lansana Keita : Nous pensons que ça peut bel et bien contribuer au développement du tourisme, car, depuis son lancement, il y a eu plusieurs touristes étrangers qui sont venus grâce à nos publications sur les réseaux sociaux. Quand ces touristes-là viennent, une partie des revenus revient aux communautés parce que c’est aux communautés qu’ils payent pour visiter les sites.
Lecourrierdeconakry.com : Il y a eu des projets similaires qui n’ont pas abouti, en quoi votre initiative est différente des autres ?
Lansana Keita : La distinction se situe dans l’innovation qu’on a mise dedans, c’est-à-dire le numérique. On s’est basé sur les données géographiques et de géolocalisations que nous avons mis sur le site. Donc, tu peux rester partout pour visiter les sites sur notre page et notre site web sans te déplacer. Le deuxième aspect qui rend ce projet innovant, c’est l’implication des jeunes ambassadeurs de la culture. Comme je le disais tantôt, ce sont des jeunes qui peuvent aussi faire la promotion des sites touristiques à leur niveau. A cela, s’ajoute l’implication des communautés auprès desquelles nous collectons des informations sur les sites touristiques.
Lecourrierdeconakry.com : Quelles sont les principales étapes que vous avez suivies pour développer votre initiative ?
Lansana Keita : Nous sommes passés par plusieurs étapes pour développer notre initiative. D’abord, il fallait prendre des données mais comme on n’en avait pas la formation, on devait alors se former. C’est ainsi qu’on a commencé à postuler sur des plateformes. Chose qui nous a permis de bénéficier d’un premier renforcement de capacité de la part de l’école du patrimoine (EPA) au Bénin. Ensuite, on a eu un accompagnement de l’AFD à travers CFI médias qui nous a accordé une formation de huit mois pour un premier temps avant de nous donner un premier fond d’installation du projet. Dans ce processus, nous avons été élus meilleurs projet de l’Afrique Francophone. Après plusieurs mois de formations, chacun a présenté son projet et Zaly Merveille a été élu meilleur projet. On a suivi également une formation avec Héritage, une organisation internationale basée aux Etats-Unis et en Grèce qui nous a offert aussi un fond nous permettant de cartographier les sites touristiques
Lecourrierdeconakry.com : Alors comment sélectionnez-vous les sites touristiques ?
Lansana Keita : La première source, c’est le bouche-à-oreille, on demande aux gens, les noms des sites touristiques et les informations concernant ces sites. Après on vérifie auprès des personnes ressources si ces sites existent réellement ou pas avant de descendre sur le terrain. Et quand on se rend sur le terrain, on prend contact avec la communauté pour recueillir des informations complémentaires sur le site avant d’y aller. Une fois sur le site, on fait des images avec notamment des drones que nous avons et on prend des données géographiques. Ensuite, on organise des causeries éducatives avec la communauté pour en savoir davantage sur le site concerné. C’est comme ça qu’on identifie les sites.
Lecourrierdeconakry.com : Quelle stratégie utilisez-vous pour promouvoir ces sites auprès du public national et international ?
Lansana Keita : Nous utilisons le numérique pour promouvoir les sites. On a une page Facebook qui n’était pas suivie au début mais qui compte aujourd’hui plus de 15 000 abonnés. Donc, on peut dire que ça porte fruit. Il y a aussi le site web à travers lequel nous faisons également la promotion. Nous passons aussi par les médias à travers des émissions. Sans oublier nos jeunes ambassadeurs qui font également la promotion.
Lecourrierdeconakry.com : Quelles opportunités voyez-vous pour l’extension du projet Zaly Merveille dans les années à venir ?
Lansana Keita : Après la cartographie que nous sommes en train de faire, nous entendons expérimenter le projet dans la région de Labé. Nous sommes en discussion avec l’association Villagois 2.0 à cet effet. Vous n’êtes pas sans savoir que la Moyenne Guinée regorge aussi d’énormes potentialités touristiques où il existe des projets similaires au nôtre mais ne sont pas les mêmes. Car Zaly Merveille est unique en Guinée. Et après cette expérimentation, on pourra voir comment élargir à toutes les régions.
Lecourrierdeconakry.com : Nous savons que la promotion du tourisme n’est pas facile en Guinée, comment surmontez-vous les obstacles que vous rencontrez dans la mise en œuvre de votre projet surtout dans la région de la Guinée Forestière qui est relativement peu connue ?
Lansana Keita : Nous, nous avons découvert des sites touristiques que personne ne connaissait auparavant et que nous avons mis sur la plateforme. Parfois quand les gens les découvrent, ils s’étonnent d’apprendre que tous ces sites existaient dans cette région. C’est parce qu’il n’y a pas de visibilité autour de ces sites. Donc le défi était d’abord de montrer aux gens que la Guinée Forestière a d’énormes sites touristiques. La Guinée forestière a une population cosmopolite composée de plusieurs ethnies avec des cultures différentes qui sont méconnues parce qu’il n’y a pas de communication.
Lecourrierdeconakry.com : Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés dans la mise en œuvre de ce projet ?
Lansana Keita : Nous avons rencontré pas mal de défis. Pour la première fois, nous sommes allés à l’Office National du tourisme et de l’Artisanat, ensuite nous sommes allés au ministère de la culture mais on n’a pas eu de suite. Ce sont des défis que nous avons eu à relever grâce à d’autres partenaires qui ont eu confiance en nous et qui nous ont soutenus. Les gens ne nous faisaient pas confiance au début mais on a su adopter des bonnes stratégies pour démontrer que la Guinée Forestière a vraiment du potentiel touristique et que les gens ont fini par adhérer. Cependant jusque-là nous n’avons pas de soutien de la part de l’autorité guinéenne.
Lecourrierdeconakry.com : Alors comment vous y êtes parvenus ?
Lansana Keita : C’est notre engagement et notre motivation qui nous ont permis d’attirer plus de monde. On ne se limite pas seulement aux sites, on va au-delà. Par exemple, quand on publie les images d’une ville ou d’un quartier sur nos plateformes, les ressortissants qui sont dans d’autres villes ou à l’étranger se sentent concernés et s’y reconnaissent. Donc, ça pousse les gens à nous suivre pour s’intéresser à ce que nous sommes en train de faire.
Lecourrierdeconakry.com : Alors quel retour avez-vous reçu jusqu’à présent de la part la population locale et des visiteurs potentiels ?
Lansana Keita : Le retour est vraiment bon. Nous recevons plusieurs appels sur le plan national et international. Pas plus qu’avant-hier, il y a un français qui nous a appelé qu’il a vu notre page et qu’il souhaite visiter N’Zérékoré. Donc, on a eu pas mal de bons retours, les gens nous appellent pour nous encourager, nous féliciter. Il y a d’autres mêmes qui nous font des petits gestes pour nous encourager. Cela nous motive et nous pousse à aller jusqu’au bout.
Lecourrierdeconakry.com : Quel impact espériez-vous avoir sur la perception de la Guinée Forestière à travers cette initiative ?
Lansana Keita : L’impact qu’on veut avoir, c’est prouver en face du monde que N’Zérékoré qui est souvent taxée de zone rouge ou de zone de conflit, regorge d’énormes potentialités touristiques et d’investissement. Donc l’impact est à la fois économique et social. Vous voyez que le projet Simandou est sur la bonne voie, c’est l’un des plus grands projets miniers du monde. Il peut y avoir d’autres projets de grande envergure.
Lecourrierdeconakry.com : Alors avez-vous déjà noté des changements tangibles depuis le lancement de ce projet ?
Lansana Keita : Oui, nous avons enregistré des changements. Il y a des institutions qui nous contactent pour des sorties touristiques, ce qui n’était pas le cas avant. Et ensuite nous pensons que les jeunes commencent à mieux connaître leur région grâce aux publications que nous faisons sur notre site et sur notre page. Et aujourd’hui, plusieurs internautes font la promotion de leurs localités sur les réseaux sociaux. Certains partagent nos publications sur leurs comptes, ce qui augmente encore la visibilité.
Lecourrierdeconakry.com : En termes de collaboration, travaillez-vous avec des organisations locales ou internationales pour soutenir Zaly Merveille ?
Lansana Keita : Oui, nous travaillons avec quelques organisations locales sur certains aspects mais c’est avec les organisations internationales que nous travaillons beaucoup plus. Nous avons eu le soutien de l’AFD à travers CFI Médias et également le soutien d’Héritage. Le ministère nous a soutenu aussi dans le cadre de l’acquisition des documents juridiques.
Lecourrierdeconakry.com : Comment intégrez-vous les acteurs locaux dans cette démarche ?
Lansana Kéita : Je peux dire que les acteurs locaux sont au centre de tout ce que nous faisons. Nous ne faisons rien sans passer par les autorités locales notamment l’inspecteur régional et les directeurs préfectoraux de la culture qui participent d’ailleurs à toutes nos activités. A travers l’initiative Zaly Merveille, nous accompagnons aussi certains événements dont le festival international du livre et des auteurs et le festival des arts et de la culture où nous faisons des expositions d’œuvres d’arts. Donc nous collaborons avec les organisateurs de ces événements qui font aussi la promotion de la culture et de la lecture.
Lecourrierdeconakry.com : envisagez-vous de développer des partenariats avec d’autres régions ou d’autres pays pour créer des synergies autour du tourisme en Guinée ?
Lansana Keita : Bien sûr, comme je le disais, nous avons eu des discussions avec nos amis de Labé, le groupe Pôdha et l’association Villageois 2.0 pour pouvoir implémenter ce projet de ce côté. A l’international, nous sommes aussi en discussion avec des organisations qui sont au Ghana qui souhaitent qu’on ait un voyage d’échange sur ce modèle. D’autres amis nous appellent notamment de la Tanzanie pour collaborer afin d’élargir le projet. Mais vu que ça demande des moyens, on est en train de mobiliser les fonds.
Lecourrierdeconakry.com : Comment voyez-vous l’évolution du projet dans les cinq prochaines années ?
Lansana Keita : Je vois que ce sera un projet de grand impact. Parce que Zaly Merveille, ce n’est pas seulement la cartographie des sites touristiques, nous développons d’autres aspects culturels qui feront de ce projet, un projet de grande envergure dans les années à venir.
Lecourrierdeconakry.com : Avez-vous des projets pour développer des infrastructures ou des services spécifiques en lien avec le tourisme en Guinée Forestière ?
Lansana Keita : Oui, nous avons initié un projet numérique pour le sauvetage du musée de N’zérékoré. Il y a beaucoup de jeunes qui ne savent pas qu’il y a un musée à N’zérékoré alors que c’est une institution qui regorge la plupart des objets culturels de la Guinée Forestière. Mais ce musée est abandonné, c’est pourquoi nous avons lancé ce projet afin de le rénover et collecter d’autres œuvres pour y mettre. Quand tu prends par exemple les œuvres de Zébéla Togba Pivi qui sont dans son village là-bas, on pourrait les classer dans ce musée, mais il n’est pas entretenu. Il y a plusieurs autres objets comme ça dans la nature mais où les mettre ? Il n’y a pas de bon musée. Nous sommes allés jusqu’au Bénin à la recherche des moyens, mais jusque-là pas de soutien.
Lecourrierdeconakry.com : en avez-vous discuté avec les autorités ?
Lansana Keita : Oui, nous en avons parlé non seulement à l’inspecteur régional mais aussi au ministère de tutelle. Ils nous ont fait savoir qu’ils ont un programme de rénovations des musées et que celui de N’zérékoré faisait partie. Mais cela fait maintenant plusieurs années que nous n’avons pas encore eu de retour. Quant à nous, nous continuons de chercher des bailleurs pour financer la rénovation de ce musée. A part ce musée, il y a aussi le centre artisanal qui n’est pas mis en valeur. Pourtant, vous remarquerez avec moi qu’à N’zérékoré, il n’y a pas de lieu de distraction. Donc, nous voulons faire de cet endroit un lieu d’attraction pour les visiteurs où des touristes peuvent loger dans des cases et avoir des nourritures du terroir et contempler des objets culturels de la forêt.
Lecourrierdeconakry.com : Il y aussi des sites touristiques qui ne sont pas aménagés, est-ce que vous y pensez ?
Lansana Keita : C’est vrai, il y a pas mal de sites touristiques qui sont déjà jolis à l’état naturel mais ils sont inaccessibles. Il faut marcher à pied pendant des kilomètres, parfois même il faut défricher la route pour atteindre ces sites. Donc pour les mettre en valeur, il faut rendre ces sites accessibles. D’autres endroits ont besoin d’entretien, de décoration pour être attrayants.
Lecourrierdeconakry.com : Quelles sont vos attentes pour l’avenir du tourisme en Guinée et comment Zaly Merveille peut-il y contribuer ?
Lansana Keita : Avec tout ce que nous voyons, la création du Branding national (même si le contenu n’est pas comme ça, mais l’idée qui se cache derrière est à saluer) et les actes que pose l’office national du tourisme, j’estime que l’avenir du tourisme guinéen est prometteur et nous nous sommes prêts à y apporter notre contribution. Mais pour y arriver, il faut une collaboration entre les structures étatiques et nous. Ils peuvent se servir de nos données pour développer le tourisme en Guinée.
Lecourrierdeconakry.com : Quel message souhaiteriez-vous transmettre à ceux qui ne connaissent pas la Guinée Forestière et ses richesses culturelles ?
Lansana Keita : J’aimerais dire à ceux qui ne connaissent pas la Guinée Forestière, que cette région regorge beaucoup de potentialités culturelles. Quand on parle de la Guinée Forestière, on parle de six (6) communautés, on parle de plusieurs cultures et de brassages culturels. Nous avons aussi le plus beau climat de la Guinée. Donc la Guinée Forestière est le paradis contrairement à tous les stéréotypes qu’on colle à cette région.
Lecourrierdeconakry.com : Dernière question, comment peut-on soutenir Zaly Merveille et contribuer à sa réussite ?
Lansana Keita : Le premier soutien que nous demandons, c’est de s’abonner d’abord à nos plateformes de réseaux sociaux et partager nos publications afin de faire connaître le projet à d’autres personnes qui souhaitent investir dans le domaine. Car, seuls, nous ne pouvons pas atteindre tout le monde. Quand un influenceur parle par exemple de Zaly Merveille, ça peut aller loin et atteindre plusieurs personnes. L’autre façon de nous soutenir, c’est de venir vers nous. Nous sommes prêts à collaborer avec tout le monde, toutes les organisations pour que nous puissions ensemble développer, promouvoir et protéger le patrimoine culturel de la Guinée forestière.
Lecourrierdeconakry.com : merci Monseiur Lansana Keita
Lansana Keita : c’est à moi de vous remercier
Interview réalisée par Mamady 2 Camara, correspondant régional à N’zérékoré
Tel : 623648423