« On peut juger le niveau de civilisation d’une société en entrant dans ses prisons ». Ce sont les paroles d’un des prisonniers les plus célèbres du monde, en l’occurrence Nelson Mandela, passé de longues années dans la prison de Robben Island pour son combat pour la liberté en Afrique du Sud. Janvier 2023, la tournée du Ministre de la Justice, M. Charles Wright, assorti de constats des conditions carcérales difficiles et de sanctions envers les agents pénitentiaires, a permis de lever un coin de voile sur les prisons et les personnes détenues en Guinée. Dans la présente tribune, nous allons revenir sur la reconnaissance des droits des personnes détenues avant de plaider pour une politique pénitentiaire centrée sur leurs droits.
Des normes encadrant les conditions carcérales et les droits des personnes détenues
Les droits des personnes détenues sont encadrés par des normes relevant tant des conventions internationales ratifiées et de celles résultant de normes de la soft law – des normes de bonne pratiques recommandées aux Etats – que celles provenant du droit interne. La dignité est le fondement sur lequel repose tout l’édifice des droits humains. Ce concept de dignité est déjà présent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dans son préambule qui souligne la « reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine », en ce compris les personnes détenues. Ce principe donne corps à l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 qui stipule que « Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». On retrouve les mêmes prescriptions aux articles 4 et 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Pour le cas particulier des droits des personnes détenues, les normes les plus complètes de protection se trouvent au niveau d’un ensemble de textes non contraignants conclus sous l’égide des Nations Unies mais dont l’usage est fortement encouragé dans la pratique des Etats. Il s’agit en particulier de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque d détention, de l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus, des Principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus, … Pour les femmes détenues, plus spécifiquement, on se reportera aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des femmes détenues et les mesures non privatives de liberté pour les femmes délinquantes, encore appelées Règles de Bangkok. Une même spécificité est faite en ce qui concerne le cas particulier des enfants avec les Principes directeurs de Ryad sur la prévention de la délinquance juvénile, les Règles de Beijing sur l’administration de la justice pour mineurs, les Règles de Tokyo sur les mesures non privatives de liberté et les Règles de La Havane. Plusieurs de ces normes protectrices des droits des personnes en détention ont été rassemblées en 2015 sous le vocable Règles Nelson Mandela en l’honneur de l’icône de la liberté et prisonnier célèbre comme mentionné ci-haut. Il y a aussi la Déclaration d’Arusha sur la bonne pratique en matière pénitentiaire. Au plan interne, en Guinée, le Code de procédure pénale, dès son article préliminaire, donne le ton sur la liberté avec la célèbre maxime « La liberté est la règle, et la détention, l’exception » ; en sus d’autres normes protectrices des droits des personnes en détention.
Pour une politique pénitentiaire centrée sur la dignité et les droits des personnes détenues
Très souvent, le seul droit impacté par les personnes en détention est leur liberté d’aller et de venir et ce pour un pour un but bien déterminé, sous le contrôle d’un juge. Il conserve, sous certaines exceptions, l’ensemble des droits reconnus à la personne. La personne détenue a, en particulier, droit à un traitement avec respect de sa dignité, le droit à l’intégrité physique avec l’interdiction de la torture et autres châtiments, le droit de maintenir les liens familiaux, le droit à des soins de santé, le droit d’être dans des locaux adéquats, le droit à la culture et aux loisirs, le droit au respect de ses convictions religieuses, …L’usage de l’isolement cellulaire doit être une mesure de dernier recours et devrait même être aboli. Les mesures disciplinaires doivent être appliquées en respect de la dignité de la personne détenue. Une politique pénitentiaire adéquate et centrée sur les droits des personnes détenues en est une qui respecte leur dignité, leurs droits et apte à favoriser leur réhabilitation et leur réinsertion dans la société. Pour le cadre guinéen, il serait essentiel d’investir massivement dans la construction des prisons modernes et leur catégorisation selon le statut pénal des personnes détenues, selon les exigences de sécurité, selon le genre et l’âge. Il faut également intégration l’aspect droits fondamentaux dans la formation des acteurs de toute la chaine de l’administration pénitentiaire. Il est essentiel d’intégrer la personne détenue d’amont comme d’aval dans le processus de réinsertion. Il faut, enfin, effectuer un contrôle strict sur les lieux de privation de liberté.
Nous terminerons encore cette tribune avec cette citation de Nelson Mandela : « …personne ne peut prétendre connaitre vraiment une nation, à moins d’avoir vu l’intérieur de ses prisons, une nation ne doit pas être jugée selon la manière dont elle traite ses citoyens les plus éminents, mais ses citoyens les plus faibles ».
-Juris Guineensis No 43.
Me Thierno Souleymane BARRY, Ph.D
Docteur en droit, Université Laval/Université de Sherbrooke (Canada)
Professeur de droit, Consultant et Avocat à la Cour