En théorie, les élections ça sert au peuple à faire des choix politiques. A tracer sur la page vierge de l’avenir un… dessein commun.
Avec quelques fragiles centimètres carrés anonymes de papier blanc et d’écriture noire, la voix du citoyen consciencieux se fait bulletin de vote, celle du cireur de chaussures s’ajoute à celle du P-DG… Petits papiers qui emplissez nos urnes, dites-nous quel chemin prendra le pays ! Qu’elle est jolie, la chanson de la démocratie !
Las, le disque est rayé et la ritournelle ne fait danser personne, mis à part les mauvais marchands de rêve dont elle constitue le fonds de commerce. Il faut dire que leur enseigne elle-même ne donne pas dans l’originalité. Les mêmes mots, toujours: “Démocratie”, “Rassemblement”, “Fédération”, “Progrès”, “Social-truc” et “Social-machin”. De belles valeurs, certes, à l’origine, mais la fabrication industrielle nuit aux produits authentiques. Éculés, remâchés, fanés, avachis, fatigués les grands mots, vidés de leur sens et de leur saveur à force d’être mis à toutes les sauces. Le message qu’ils véhiculent est d’un fade consensuel, à l’image du programme de ceux qui les brament à longueur de campagne.
C’est sûr qu’on voit mal un parti se faire appeler “Parti pour la dictature et la dégénérescence” ou “Parti antisocial”, ou encore “Alliance pour l’autocratie et la division”. Cela dit, au moins ça réveillerait l’oeil maussade et blasé des foules, ne serait-ce qu’en les faisant se gondoler un bon coup.
Tant qu’à faire, les gars, un conseil inspiré: surfez sur l’air du temps, faites une fusion, un maousse parti unique, afin de ne vexer personne, donnez-lui un auguste nom composé du genre “Parti social de l’alliance fédératrice des rassemblements pour la démocratie et le progrès”, voilà qui est chiadé ! Pour nommer le chef, vous fatiguez pas, faites-le à celui qui crache le noyau le plus loin, pour ce que ça changera…
Parce que au total, ça va lui apporter quoi au quidam de base, c’est-à-dire pour les 90% de la population, celui qui trime dans son champ en attendant le repas du soir, que l’arc-en-ciel de la représentation nationale passe du vert pastel au rose berlingot ? Lui il s’en moque allègrement et il a bien raison. Et ce n’est pas seulement parce que l’analphabétisme et la subsistance parallèle des structures politiques coutumières entravent sa prise de conscience citoyenne. A la rigueur, ce qui peut modifier son quotidien, c’est si le grand frère du voisin est élu député et joue de son influence pour qu’on fasse construire le centre de santé chez lui et pas dans le village voisin, ou pour que l’appel d’offres donne raison à l’entrepreneur Traoré et fils plutôt qu’à Diallo et frères. Mais pas la pondération des pourcentages à l’Assemblée.
Il n’y a pas qu’ici d’ailleurs que la politique devient une affaire de forme plus que de fond et qu’elle recèle plus de douceâtre rhétorique que de véritables enjeux de société. Écoutons les pompeux discours auxquels on a eu droit pour les voeux de nouvel an, auxquels n’ont pas manqué les subtiles allusions aux élections prochaines: il s’agissait plus pour les leaders locaux de s’attribuer le mérite du tracteur offert par les bonnes grâces de la coopération et de convaincre que celui du camp adverse n’amènera que les termites et la lèpre dans les foyers que d’adopter un positionnement audacieux et de proposer un ersatz de programme.
Blabla et marchandage. Le grand bof général qui répond aux gesticulations des uns et des autres n’est pas une manifestation de l’inconscience politique des populations, bien au contraire.
Abou Maco, Journaliste