La journée internationale des télécommunications et sociétés de l’information de cette année est placée sous le thème « Renforcement de capacités des pays les moins avancés grâce aux technologies de l’information et de la communication-TIC ». Un thème qui correspond à mon avis aux défis liés aux infrastructures numériques de base, à l’intégration des TIC dans les secteurs essentiels à la croissance, à la nécessité d’accès aux technologies de l’information et de la communication ainsi qu’à l’accès universel et abordable à internet dans nos pays.
Dans les 46 pays moins avancés du monde dont la République de Guinée figure, un constat interpellant est fait dans le dernier rapport ‘’Afrique numérique-Transformation technologique pour l’emploi’’ de la Banque mondiale en ces termes : l’Afrique est à la traîne des autres régions en ce qui concerne l’utilisation des services internet. Bien que 84 % des Africains vivent dans des zones où un niveau de qualité minimal des services internet mobiles 3G ou 4G est disponible, seuls 22 % d’entre eux utilisaient effectivement ceux-ci à la fin de 2021. L’absence d’une couverture abordable explique en partie cet important écart d’utilisation. Quelque 40 % des Africains vivent encore en dessous du seuil mondial d’extrême pauvreté, et même les forfaits de données mobiles de base peuvent représenter environ un tiers de leurs revenus. En effet, ce constat est fait en dépit du financement constant des infrastructures numériques par les Etats africains et leurs partenaires dont la Banque mondiale elle-même de 2011 à 2022. N’est-il pas temps de changer de stratégies ? Que devient une infrastructure numérique si elle n’est pas intégrée dans une vaste stratégie nationale d’accès à la population ? nos mécanismes liés aux services universels n’ont-ils pas montré leur limite ? L’ensemble de ces interrogations ont une réponse dans les recommandations faites dans ledit rapport ainsi que dans l’ouvrage « Les freins du développement numérique en Guinée et ma vision » dont je sollicite la lecture et l’analyse objective aux pouvoirs publics en charge de la politique de gouvernance numérique.
Par ailleurs, l’union internationale des télécommunications lors de sa participation à la cinquième conférence des Nations unies sur les pays moins avancés ‘PMA5’, a publié et mis à la disposition de la conférence, un rapport analytique sur les indicateurs liés au développement numérique et TIC des 46 pays moins avancés du monde. Le rapport intitulé « Mesurer le développement numérique – Faits et chiffres », expose les avancées et évolutions de l’intégration des technologies de l’information et de la communication ainsi que leurs impacts sur la population des pays moins avancés. En plus des données sur l’accessibilité financière, les faits et chiffres dans ledit rapport ressortent la diversité dans le développement numérique de chacun des 46 pays. Chose pouvant aider les pays dans leur quête de mécanismes et stratégies adéquats de gouvernance numérique.
Selon l’Union Internationale des Télécommunications, la connectivité universelle et significative, la possibilité pour chacun de profiter d’une expérience en ligne sûre, satisfaisante, enrichissante, productive et abordable, reste une perspective lointaine pour les pays moins avancés (PMA). Par exemple, seulement 36 % de la population des PMA utilisaient Internet en 2022, contre 66 % dans le reste du monde. Pas moins de 17% de la population des PMA n’avaient même pas accès à un réseau haut débit fixe ou mobile, ce que l’on appelle l’écart d’accès. Les 47 % restants de la population hors ligne, qui représentent l’écart d’utilisation, se heurtent à d’autres obstacles, tels que le caractère abordable des services TIC. L’accès à Internet dans les PMA est plus coûteux que partout ailleurs. Le prix d’un panier haut débit mobile de référence avec 2 Go d’allocation mensuelle dans un PMA typique comme la Guinée, représente près de 6 % du revenu moyen, soit environ quatre fois le prix mondial typique de 1,5 %. Seuls 2 PMA ont atteint l’objectif d’accessibilité financière de 2 % de la Commission des Nations Unies sur le haut débit.
Cas de la République de Guinée :
Avec près de 400 milliards GNF d’investissement public dans les infrastructures de télécommunications et TIC entre 2010-2022, l’accès universel et à moindre coût aux services internet et autres technologies numériques, la digitalisation de l’Etat et l’impact du numérique sur l’économie circulaire, reste un réel défi pour le pays. Pour un secteur aussi stratégique, qui avait au total moins de 20 milliards GNF d’investissement public avant 2010, malgré l’incapacité du pays à mieux faire profiter ces investissements par une exploitation bénéfique à la population et à l’économie, cette croissance exponentielle des investissements publics ces dernières années reste un acquis.
Par ailleurs, le taux d’accès aux services numériques dans les zones rurales et par une catégorie de la population reste relativement faible. Une fracture numérique qui s’explique par la mauvaise gestion antérieure du fonds de services universels pendant ces onze dernières années. La création d’une agence et d’un nouveau mécanisme de gestion dudit fonds est un acquis et un premier pas appréciable dans la lutte contre la fracture numérique. Il est qu’à même important de signaler la nécessité de stratégies de gouvernance, de mise en place de mécanismes adoptés à la couverture progressive des zones blanches afin d’atteindre les quatre (4) objectifs essentiels de la Commission du haut débit des Nations unies qui sont nécessaires à la réalisation de neuf (9) cibles des objectifs de développement durable (ODD). Bref, il est nécessaire d’intégrer le service universel au cadre stratégique de développement numérique de nos pays.
Problématique du développement numérique en Guinée :
De l’ouverture des services de télécommunications guinéens au grand public dans les années 70 à nos jours, le secteur est toujours resté dans une logique d’imposition fiscale et de collecte de fonds pour le trésor en Guinée (une fâche laitière pour l’Etat et ses tenants) ; Tout en ayant peu d’actions contributrices à son développement. Une réalité qui aujourd’hui, cause préjudice à l’épanouissement numérique et à son apport à la croissance économique et sociale du pays. Le secteur numérique, en effet, est un pilier qui permet aux autres secteurs d’activités d’apporter de la croissance et du dynamisme socio-économique. Un avis partagé par plusieurs experts et institutions !
Par exemple, dans les zones rurales au Nigéria, partout l’accès à internet (fixe ou mobile) a été amélioré, une réduction de la pauvreté fut observée. Une étude empirique de la Banque mondiale vient confirmer cela en stipulant que la disponibilité d’internet a amélioré les résultats relatifs à l’emploi et au bien-être au Nigeria et en Tanzanie. Au Nigeria, la participation à la population active et l’emploi salarié ont augmenté, respectivement, de 3 points de pourcentage et de 1 point de pourcentage dans les zones ayant trois ans ou plus d’exposition à la disponibilité d’internet par rapport à celles non couvertes, après prise en compte des facteurs de confusion potentiels. La consommation totale a augmenté d’environ 9 %, tandis que la proportion de ménages vivant en dessous du seuil d’extrême pauvreté (1,90 USD par personne et par jour) a diminué de 7 % après trois ans. Les ménages les plus pauvres et ceux vivant dans les zones rurales en bénéficient le plus, reflétant peut-être la connectivité internet déjà disponible pour la plupart des ménages urbains au cours de la période d’analyse.
La Guinée pour atteindre le développement numérique qui est aujourd’hui une nécessité, doit à mon avis en plus de l’adoption des modèles comme celui du Sénégal qui est passé d’une contribution à valeur ajoutée d’un à deux chiffres à la croissance du pays au dernier trimestre 2022, avoir une vision de développement constante et consistante sur deux quinquennats ; Et en prenant ainsi en compte l’ensemble des réformes fiscales, structurelles et de gouvernances adoptées à cet effet. Cette proposition tient toute sa place dans le thème choisi cette année pour la journée internationale des télécommunications car aucun renforcement de capacités de nos pays par le billet des TIC n’est possible sans une gouvernance numérique structurée.
Etats des lieux des TICs et Télécommunications en Guinée :
Avec un taux de pénétration respectif de 116% et 46% de la téléphonie et d’internet, le marché des télécommunications (téléphonie, mobile…) reste très pertinent en Guinée. Malgré ces taux de pénétration appréciables, il est important de signaler que plus de 340 localités urbaines et rurales sont encore non-couvert en réseau téléphonique. Un défi impératif à relever les prochaines années par l’Etat pour un meilleur accès universel aux services numériques de base. Selon les derniers rapports de l’Autorité de régulation des postes et télécommunications, le chiffre d’affaires du secteur de la téléphonie s’élève autour de 6400 milliards par an. Un chiffre d’affaires détenu à hauteur de 80% par un seul opérateur ! A mon avis, le marché concurrentiel de la téléphonie guinéen vient donc de quitter d’une situation d’opérateur dominant dans un marché pertinent à une situation de monopole de fait dont les conséquences. En 15 années le secteur a quitté d’une situation de marché aux parts plus ou moins équilibrés à un monopole de fait qui est le fruit amer d’une régulation moins rigoureuse et visionnaire de près de deux décennies. Il est en ce moment primordial que le régulateur adopte ses stratégies de régulation de marché à cet effet ! Dans une telle situation, les recommandations issues de la dernière étude de marchés pertinents et d’opérateurs dominant, sont obsolètes. Il faut un ensemble de mécanismes ex post afin d’amortir les conséquences dudit monopole sur les investissements et l’économie de marché du secteur et de ses domaines annexes.
Dans le secteur des TICs, la libéralisation du code USSD est un acquis qui impact positivement les activités de jeunes start-ups du pays ; Parallèlement, l’encadrement institutionnel des start-ups jusqu’à maturité et leur intégration dans le processus de digitalisation de l’Etat reste un défi.
Lois et Réglementation du secteur :
Le secteur des télécommunications et des technologies de l’information est régulé à date par trois (3) lois à savoir :
La loi L/2015/018 relative aux télécommunications et TIC, elle est la mère de toutes les autres lois, elle stipule sur à la fois les règles de fonctionnement des institutions étatiques en charge du secteur ainsi que sur la régulation et la réglementation de marchés qui découlent des domaines d’activités issus du secteur. En Guinée, cette loi est aussi très en retard par rapport aux objectifs et défis internationaux qui préconisent la réinvention des télécommunications dans une vision large de développement numérique accéléré.
Les lois L/2016/035 et L/2016/037 respectivement relatives aux transactions électroniques et à la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel. Dans le cadre de la cybersécurité, les préjudices sont considérables tant au niveau des technologies liées à internet qu’à celles liées au mobile-money et autres systèmes IT du pays. En plus de la loi l/037/2016 sur la cybersécurité, la matérialisation des stratégies nationales et la disponibilité de fonds pour le fonctionnement des agences chargées de la digitalisation et de la cybersécurité du pays, reste aussi un défi pour l’Etat.
A l’instar de plusieurs pays africains, la Guinée vient de voir en moins de cinq (5) ans, une économie parallèle qui s’est créée par le billet de la téléphonie mobile (les mobiles money) avec un taux de pénétration très croissante de 18 %. Contenant un flux de près de 21 milliards/jour, la problématique de contrôle et de supervision dudit secteur, le risque de blanchiment d’argent et de financement d’activités illicites s’augmentent de jour en jour. Une loi L/035 sur les transactions électroniques dans le but de contrôler ce nouveau marché fut promulguée en 2016. En effet, les limites de cette loi sont observées. Une réalité qui impose une adoption rapide de ladite loi aux contraintes actuelles. Une synergie entre la BCRG et l’Autorité technique (ARPT) est indispensable pour une régulation bénéfique aux trois éléments (Investisseurs, consommateurs et Etat) dans le domaine. Pourquoi pas une autorité indépendante à cet effet une fois que le marché atteint une maturité plus appréciable ?
En conclusion, avec plus d’investissements coordonnés des Etats africains dans les infrastructures de télécommunications et TICs, l’élaboration et l’implémentation de politiques et stratégies de gouvernance numérique prenant en compte les TICs et télécommunications, ainsi qu’une stabilité politique, les perspectives lointaines d’accès abordable et de qualité de nos populations aux services internet et infrastructures numériques universelles peuvent rester des réalités du passé et non du futur de nos pays.
Je souhaite par anticipation, une excellente journée des télécommunications à la Guinée et à tous les acteurs qui participent au développement du numérique dans le monde !
KABA MAMADI
Spécialiste des Télécommunications & Développement Numérique