Un remaniement ministériel dans tous les pays du monde provoque souvent le doute, des interrogations et des espoirs.
Mais l’émotion, avec un fort accent de polémique, qui a suivi le récent réaménagement technique de l’équipe gouvernementale, pose la question de la liberté et des pouvoirs dont dispose les Chefs d’Etat, face à de nouveaux contre-pouvoirs comme la rue ou les réseaux sociaux. Si « le pouvoir doit arrêter le pouvoir », celui des opinions publiques qui s’exprime souvent dans le désordre, la confusion, voire la violence fragilise les institutions démocratiques et entame aussi bien l’autorité que la réputation des élites au pouvoir. Certes, on n’en est pas encore à contester la liberté et le droit des gouvernants à décider au nom et pour le compte de tous, mais en même temps on leur fait savoir que chaque fois, désormais ils ont des comptes à rendre et qu’ils devraient penser à “contenter” le “peuple” dont la noble identité est usurpée par des élites et la voix est brouillée par les luttes influence, les conflits d’intérêt, les jeux de pouvoir et les interminables intrigues de palais.
Siaka Barry s’en va , Gbantama Sow arrive, d’autres aussi sont partis et remplacés par des ministres qui, pour la plupart, font leur baptême de feu gouvernemental. Le départ de l’un et l’arrivée de I’autre suscitent tant de commentaires inattendus et de vocations de commentateurs peu enclins au doute qu’on a fini par oublier que cet énième remaniement, comme l’opinion en raffole et comme d’autres avant, n’a rien de troublant dans un pays où le changement de ministres est quasi- permanent que l’on a conclu depuis longtemps déjà à une instabilité gouvernementale chronique.
Dur, dur d’être ancien ministre !
Quand Francois Fillon a été débarqué du gouvernement par Jaques Chirac, il s’en est ému outre mesure et n’a pas hésité à s’en prendre ouvertement à lui: “De Chirac, on ne se souviendra de rien sauf mes réformes“. Un exemple parmi tant d’autres d’un ministre déchu qui entre en dissidence et entend prendre sa revanche sur le Président. C’est la leçon des derniers changements intervenus dans le gouvernement avec un ministre qui se victimise et un président pris pour cible ?
Quand on cesse d’être ministre, on est confronté à une espèce de vague à I’âme de se retrouver subitement seul après avoir baigné dans l’illusion d’être aimé et respecté par tous. La frustration est encore plus grande de considérer qu’on n’a pas été au bout de son oeuvre ou qu’on a été privé de l’occasion de donner la pleine mesure de son talent dans le rêve interrompu. Peut-on seulement terminer une oeuvre humaine ou porter et réaliser jusqu’au bout nos projets et ambitions ? Là réside toute la tragédie du pouvoir et les drames personnels auxquels il expose souvent dans cette course sans fin de tentations nombreuses et de vanités inutiles.
Quitter le gouvernement ou le pouvoir est souvent vécu comme une injustice, tant chacun se croit plus méritant que les autres et investi d’une mission prophétique. Les hommes ont des passions qui font qu’ils n’acceptent pas la fatalité de la foi ni les contrariétés d’un monde aussi cruel qu’injuste. Pourrait-il cependant en être autrement dans une vie de succession de défaites où la victoire ne dure jamais, une vie émaillée d’échecs où la réussite n’est que toujours apparente ?
C’est sain pour la démocratie et utile aussi aux dirigeants que l’opinion se montre attentive aux actes posés par tous les décideurs et leaders d’opinion dans un pays. La critique est la “marque déposée” des grandes démocraties et des sociétés “évoluées ». Cependant, on assiste plus souvent maintenant aux polémiques et invectives d’une rare agressivité qui semblent nourrir la vie publique, surtout en Guinée où on use sans limites du droit désormais acquis d’interpeller pour tout et rien les hommes publics, comme une revanche sur l’histoire récente : trop longtemps la parole a été confisquée aux citoyens et toutes les libertés furent suspendues. Et bien sûr comme partout ailleurs, c’est dans les médias et l’extraordinaire monde des “réseaux sociaux” où la liberté ne semble pas avoir de conscience ni d’état d’âme qu’on s’épanche le plus souvent avec l’espoir de constituer une majorité et d’imposer la légitimité. Ce n’est pas sans un « effet” terrible sur l’image et l’honneur des uns et des autres qui, malgré tout, survit rarement au temps et à la réalité. Chacun le sait : Donald Trump a engagé une guerre sans merci contre les pronostics des nombreux courants hostiles à lui dans les médias et sur internet pour s’imposer comme Président des Etats-unis; à l’inverse, Emmanuel Macron a été « plébiscité” par les “faiseurs d’opinion” avant d’être élu à la Présidence de la République française pour se retrouver aujourd’hui confronté à la fronde des mêmes “canaux” acquis à lui dans un passé récent.
Certes, on ne peut gouverner avec la rue ou les sondages d’opinion, mais dans les démocraties aujourd’hui, si la “tendance populaire” peut ne pas faire un destin politique, elle a fait le malheur de tant de personnes, fait reculer tant de pouvoirs, et fait céder tant de chefs d’Etat. La démocratie étant la loi de la majorité requise pour gouverner, la liberté d’expression, en réalité, un droit à contester et protester en permanence, n’est-elle pas le recours et le moyen que se réservent désormais les peuples pour exister et compter dans la décision dont ils se considèrent toujours exclus ?
Le grand piège des démocraties actuelles, c’est d’être légitime pour décider seul mais jamais assez fort pour affronter une opinion de plus en plus organisée et influente pour ne pas être crainte et devenir aussi une source de déstabilisation, même psychologique. A qui la faute ?
Tibou Kamara